Les milieux de la restauration et de l’agriculture gourmande sont remplis d’histoires, de réflexions, de solutions. Une fois par mois, nous donnons la parole à ceux et celles qui font la richesse et la diversité des métiers de bouche du Québec.

Avec conviction, humilité et constance, Alain Rochard a participé à l’essor d’une restauration montréalaise joyeuse et de qualité, d’abord au Continental, puis au Rouge gorge. C’est l’âme en paix mais le cœur un peu lourd que le passionné de service et de vin, installé au Québec depuis 1990, prend sa retraite de la métropole et part s’occuper des vignes du Loup blanc, dans le Minervois. Nous l’avons attrapé quelques jours avant son départ pour la France.

Premier service

« Mon père était horloger, mon grand-père était paysan. Je viens d’une famille très, très modeste de Saumur, dans la Loire. Je n’étais pas forcément destiné à travailler en restauration ni dans la vigne. En fait, quand on naît dans un pays producteur comme la France ou l’Italie ou l’Espagne, le vin fait partie du paysage comme ici la neige. Les châteaux de la Loire, je ne les voyais plus !

« J’ai d’abord fait un brevet agricole, mais je me suis rendu compte que je ne voulais pas aller là-dedans, alors je suis passé à autre chose. J’ai donc travaillé en fiscalité et en gestion pendant neuf ans. C’est un métier que j’ai aimé parce que j’aime les chiffres, j’ai vite eu un bon poste, je gagnais de l’argent. Mais j’ai fini par me faire chier !

« En 1988, je suis venu au Québec en voyage et j’ai eu un gros coup de cœur. Je suis revenu m’y installer en 1990, seul, et c’est vraiment là que ma passion du vin s’est ouverte, grâce à la SAQ. »

« Les gens chialent beaucoup contre la SAQ, mais c’est un des plus beaux accès au vin du monde entier. Essaie de te trouver une bouteille de vin, même italien, chez un caviste français en région. Bonne chance ! »

« Ici, dans n’importe quelle SAQ, on trouve de tout et ils se sont drôlement démenés ces dernières années côté qualité.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Alain Rochard et son équipe à la réouverture des terrasses l’été dernier. Sur la photo, à droite de M. Rochard : Giancarlo Bonanno, Gabriel Tanguay, André-Nicolàs Medina, Simon Perrotte, Manuel Ruiz et Laurent Farre (copropriétaire).

« Avant de quitter la France, j’avais ouvert un restaurant à Saumur puis un autre à Angers, avec mon frère. Arrivé au Québec, j’ai découvert la restauration d’ici. Les bonnes tables étaient des restaurants classico-classiques français. Il y avait L’Express, Le Continental. On mangeait aussi au Latini, au Piémontais, à La Bohème, chez Gauthier. Je suis rentré au Continental en 1992, comme maître d’hôtel. En 1993, j’ai racheté des parts, puis en 1995, on a tout racheté, avec mon grand ami Laurent Farre.

« J’ai suivi un premier cours de sommellerie en 1997-1998 à l’ITHQ et j’ai compris que je n’étais pas fait pour les concours ! Moi, c’était plutôt l’œnologie, la vinification, les rencontres avec des vignerons. Puis j’ai fait une deuxième formation dans le vin, avec Olivier Robin, qui venait de l’Université du vin à Suze-La-Rousse. »

Deuxième service

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Rochard à l’ouverture du Rouge gorge, en 2015

« Moi, la restauration, c’est sur le plancher que je l’ai vécue. Au Continental, je participais au service avec le staff, je participais à l’élaboration du menu avec le chef. J’étais présent. Ça a super bien marché jusqu’à l’incendie, en juillet 2007, qui a tout détruit. Heureusement, on était assurés et on n’avait pas les deux pieds dans la même bottine. On a tout de suite cherché un nouveau local, un coin de rue plus au sud. Zébulon Perron est venu nous faire la déco. Trois mois plus tard, en octobre 2007, on ouvrait Le Petit Conti.

« À l’époque, on arrivait à fidéliser une clientèle. Au Continental, j’en avais qui venaient presque tous les jours. Mais ce n’est plus comme ça en général. Aujourd’hui, quand tu veux aller au restaurant, à Montréal, le plus compliqué, c’est de choisir l’endroit !

« On a vendu Le Petit Conti en 2014. Moi, je passais beaucoup de temps au domaine, qu’on a acheté en 2003, et je me promenais pas mal pour vendre le vin. Laurent était un peu laissé à lui-même. Dans ma tête, j’avais déjà un plan de bar à vin. C’est plus simple qu’un restaurant. T’as moins la pression d’être toujours au top, de préparer des menus innovants, de faire des heures et des heures de mise en place. Au Rouge gorge, la cuisine est un plus dans le bar à vin, mais elle ne représente que 25 % des ventes.

« La restauration, c’est un métier de passion. On ne gagne pas des salaires mirobolants, les heures sont difficiles. Avant, on disait que le secret d’un commerce, c’était location, location, location. Maintenant, c’est gestion, gestion, gestion ! Il faut savoir compter. »

Troisième service

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

« Moi, j’ai 66 balles. Dans 20 ans, si je ne suis pas mort, je ne serai pas loin, mais vous qui avez 20 ans aujourd’hui, vous êtes mieux de faire attention. Notre pouvoir d’électeur devrait être constamment dirigé vers l’écologie. »

« Au vignoble, on s’est rapidement dirigés vers le bio et la biodynamie. J’ai des copains qui disent : “Ah, tout le monde s’en va vers la bio maintenant.” Moi, je dis : “Tant mieux, TANT MIEUX !” Même si ce n’est pas ta philosophie, au moins, c’est un réflexe commercial intelligent ! »

« Mes objectifs à venir, c’est l’agroforesterie et la permaculture. Avec Benoît, qui est notre ouvrier agricole et qui va devenir associé, on est allés voir d’autres vignerons qui commencent là-dedans. Replanter des haies, des arbres, des arbustes à fruits… Semble-t-il que la fleur de marronnier femelle serait plus efficace que le soufre pour agir sur les bactéries et sur les levures qui font dévier le vin. Je vais tester ça. Mais pour moi, ce n’est pas nécessaire d’être totalement sans sulfites pour faire du vin naturel et ce n’est pas parce que tu ne mets pas de soufre dans ton vin qu’il est naturel.

« Moi, je veux faire du bon vin, en équipe avec mes associés, Carine [Farre] et Benoît. Je n’ai pas besoin de me faire dire : Rochard, t’es un vigneron fantastique. Ça me gênerait même. Qu’on dise : l’équipe du Loup blanc travaille bien. Ça, ça me ferait plaisir. »