En seulement quelques années, l’industrie brassicole québécoise a développé une expertise enviable et des dizaines de microbrasseries ont vu le jour. Chaque mois, nous parlons d’un aspect du monde effervescent de la bière.

Chocolat, vanille, noix de coco, amandes, pistaches, cannelle, sirop d’érable, petits fruits : la somme de ces mots rime certainement avec décadence, mais elle enflamme aussi depuis peu le milieu brassicole du Québec. Bienvenue dans l’univers gourmand des bières desserts.

Comme pour les India Pale Ale bien fruitées, la mode des bières décadentes nous vient des États-Unis, que l’on parle de stouts pâtissiers ou de sures smoothies. « Il y avait déjà des bières avec le même degré de sucre ou même un côté vanillé, mais on met aujourd’hui davantage l’accent sur ce qui est ajouté dans la bière au brassage », nous explique Xavier Roy, copropriétaire du détaillant spécialisé Le Fridge, à Lévis. « Avant, on gardait les mêmes ingrédients de base, maintenant on intensifie avec du vrai chocolat ou d’autres ingrédients. Comme on insiste sur de nouveaux houblons pour les IPA, on ajoute de nouveaux aromates pour les bières desserts. »

La brasserie artisanale BreWskey, dans le Vieux-Montréal, reconnaît qu’elle est désormais étiquetée pour ses bières décadentes, surtout depuis qu’elle ne peut plus servir l’ensemble de sa gamme de bières dans un pub fermé depuis des mois en raison de la pandémie. « On veut répondre aux envies de nos nouveaux clients », reconnaît le propriétaire, Guillaume Couraud.

Mais nous sommes aussi des explorateurs brassicoles, on veut constamment repousser les limites brassicoles, pas juste rester sur les bières qui sont là depuis 1650, même si on en brasse aussi.

Guillaume Couraud, propriétaire de la brasserie artisanale BreWskey

« Et quand on est étiqueté comme tel, les gens nous en redemandent, sans oublier l’influence américaine qui arrive aux oreilles des amateurs d’ici et qui contribue à accélérer l’effet boule de neige. »

Discipline

Un peu plus au nord dans l’île de Montréal, c’est un peu malgré elle que Beauregard Brasserie Distillerie s’est retrouvée à surfer sur la vague des stouts desserts. Spécialiste des bières noires – certaines vieillissent actuellement dans son vaste chai de 350 barriques de chêne –, la brasserie du quartier Rosemont ne pouvait certainement pas regarder le train passer, au prix de devoir développer une toute nouvelle recette de base.

« Les gens veulent des bières avec plus de texture, comme du chocolat, ils veulent quasiment que tu passes ton gâteau au mélangeur », s’exclame le copropriétaire, Cédric Johnson, en nous apprenant que son Impériale Latté Praliné contient plus de 225 kilos d’amandes, de pacanes, de sirop d’érable et de café par brassin de 2000 litres ! « C’est un défi toutefois, car tu dois suivre le marché tout en conservant ta marque de commerce, ajoute le brasseur. C’est difficile de ne pas te laisser emporter par la vague qui t’amène du volume et une certaine reconnaissance du public. Je sais que les vieux de la vieille trouvent que tous ces ajouts dénaturent la base de la bière... »

Justement, Guillaume Couraud s’offusque un peu quand on lui fait la remarque. « Qu’est-ce que c’est, une bière, au juste ? nous demande-t-il avec justesse. Est-ce que c’est un ajout de faire vieillir une bière dans un baril qui a contenu du bourbon ? Est-ce qu’on demande à Cantillon [légendaire brasserie bruxelloise] si elle fait de la bière parce qu’elle ajoute des fruits à ses lambics ? »

Prudence

Quant au risque d’ajouter des ingrédients fermentables comme de la purée de fruits dans une bière en fin de brassage, Guillaume Couraud soutient que les clients sont de plus en plus au fait des méthodes de conservation. « Si certains ne font pas attention, ça peut devenir un problème, admet-il. Mais il y a des moyens pour faire en sorte que le produit soit stable. Il y a quand même plein de produits alimentaires qui demandent à être réfrigérés, ça rentre dans l’esprit des gens. »

En fait, Guillaume Couraud et son équipe de BreWskey adoptent autant l’approche du brasseur que du restaurateur quand vient le temps de développer un nouveau brassin gourmand. « Au lieu de manger un dessert ou de boire un trou normand, on va partager une pastry stout, illustre-t-il. Parce que si nous sommes des buveux de bière, nous sommes aussi de mangeux de bons plats. »

L’influence culinaire régit nos vies ! Alors, comme en restauration, on veut essayer de créer. Et les gens ont l’air d’aimer.

Guillaume Couraud

Les gens qui adorent sont par ailleurs souvent jeunes et pas nécessairement férus de bière. « Si cette folie peut permettre à quelqu’un qui n’est pas un consommateur de bière de développer ses papilles, c’est quand même assez le fun, admet Cédric Johnson. Et quand le nouvel amateur va réaliser après un an qu’il a pris 25 livres à boire des bières fortes et sucrées, il va se tourner vers des styles plus classiques ! »

Est-ce à dire que la vague des bières desserts va retomber ? Certainement pas. « Je pense que c’est là pour de bon parce que ça touche une clientèle plus jeune, soutient Xavier Roy. Le réflexe d’exploser les saveurs, de ne pas avoir de limite, c’est plus jeune comme approche, ce qui me fait croire que ça va rester. »

D’autant plus qu’il y aura toujours de la place pour un peu de décadence, n’est-ce pas ?

Quelques suggestions

Señor Cacao

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La Señor Cacao Cara Milk Stout, de Ras L’Bock

Ras L’Bock
6 % alc./vol.
473 ml

D’abord lancée au sein de la gamme hors-série du Ras l’Bock, la Señor Cacao a profité de la vague des bières desserts pour trouver sa place au sein de l’offre habituelle de la brasserie du Bas-Saint-Laurent. Stout bien ronde grâce à l’ajout de lactose et de vanille, avec un côté bien sucré apporté par l’utilisation de malt caramélisé. On y a aussi ajouté de bonnes quantités de cacao, qui non seulement lui donnent un nez explosif, mais aussi contribuent à son équilibre en lui apportant une subtile pointe d’amertume.

> Consultez le site de Ras L’Bock

Mal Léché

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le Mal Léché, des Brasseurs du Monde

Brasseurs du Monde
4,5 % alc./vol.
473 ml

Déclinaison originale de la bière dessert, à la fois parce qu’il s’agit d’une blanche, mais aussi parce que c’est une bière légère. Belle effervescence, les levures de blanche et ses esters de banane se manifestent au départ, mais cèdent rapidement leur place à la rondeur apportée par un important influx de lactose. Finale longue très vanillée, le sirop sucré reste toutefois un peu trop accroché au palais.

> Consultez le site des Brasseurs du Monde

Mango Creamsicle

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La Mango Creamsicle, de la microbrasserie Labrosse

Microbrasserie Labrosse
7,4 % alc./vol.
473 ml

On est ici davantage du côté « smoothie » des bières desserts, qui tirent leur parenté des IPA de la Nouvelle-Angleterre. C’est une Milkshake IPA pur jus, de mangue dans le cas qui nous concerne. Au nez, le fruit est toutefois à peine perceptible, c’est surtout sucré et vanillé. En bouche, le lactose est enveloppant, la vanille est puissante, avec une pointe d’amertume qui nous rappelle en finale qu’il s’agit d’une IPA, même si on est résolument plus près du cocktail tropical.

> Consultez le site de la Microbrasserie Labrosse

Impériale Macadam

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L'Impériale Macadam, de Beauregard Brasserie Distillerie

Beauregard Brasserie Distillerie
11,1 % alc./vol.
355 ml

Onctueuse dès la sortie de la petite canette (bonne idée !), les effluves de chocolat noir, de vanille et de bourbon s’expriment aussitôt. Ce stout impérial brassé avec des noix de macadam et des gousses de vanille a en effet séjourné en barriques de chêne ayant accueilli du bourbon, ce qui en fait une boisson d’exception. Extrêmement velouté, il s’arrondit encore un peu plus quand il atteint la température souhaitée, le macadam s’affirme davantage. Autant digestif que dessert, on est davantage dans le raffinement que l’excès.

> Consultez le site de Beauregard Brasserie Distillerie

Dessert Choco-Noisette

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le Dessert Choco-Noisette, collaboration des microbrasseries Les Trois Mousquetaires et BreWskey

Les Trois Mousquetaires et BreWskey
10,5 % alc./vol.
750 ml

Fruit de la collaboration de deux poids lourds en matière de bières desserts, ce stout impérial étonne avec une pointe d’acidité qui rappelle davantage le porter que le stout. La noisette flatte discrètement le palais avant de faire place à l’amertume du cacao. Elle est néanmoins facile à boire, la présence d’alcool est masquée par l’explosion chocolatée. C’est toutefois quand la bière est un peu plus chambrée que la vanille et la noisette trouvent la place qui leur revient : c’est plus velouté, plus équilibré, mais aussi plus décadent.

> Consultez le site des Trois Mousquetaires

> Consultez le site de BreWskey