Les microbrasseries du Québec en imposent. Elles s’illustrent, bon an, mal an, dans plusieurs palmarès, y compris celui de RateBeer, établi en tenant compte des millions d’évaluations dûment enregistrées par les utilisateurs du site américain. Le palmarès de cette année ne fait pas exception, bien au contraire.

Si des brasseries comme Dieu du Ciel ! (25e), Dunham (42e) et Les Trois Mousquetaires (61e) continuent de se maintenir au sein de la crème des quelque 35 000 brasseurs évalués en 2020 sur RateBeer, trois micros d’ici, qui ont fait le choix de se spécialiser dans certains styles de bières, ont vu leurs efforts récompensés de la plus belle des façons.

Les dirigeants du site américain ont en effet choisi cette année de ne plus récompenser la meilleure bière d’un style particulier, mais plutôt les brasseries qui ont affiché la plus belle expertise dans une catégorie donnée. Ainsi, la Brasserie du Bas-Canada a brassé en 2020 les meilleurs India Pale Ale (IPA) au monde, Les Grands Bois, les meilleures lagers pâles, et Maltström, les meilleures lagers houblonnées. On a voulu connaître leurs impressions en réaction à ces récompenses franchement peu banales.

PHOTO SIMON SÉGUIN-BERTRAND, LA PRESSE

Les copropriétaires de la Brasserie du Bas-Canada, Marc-André Cordeiro Lima et Gabriel Girard-Bernier, sont accompagnés des brasseurs Danick Béland et Alexis Asselin.

Brasserie du Bas-Canada

Gatineau

« C’est en effet vraiment pas banal, c’est tout un honneur, nous confirme Marc-André Cordeiro Lima, copropriétaire de la microbrasserie qui se retrouve aussi au 79rang du palmarès général de RateBeer. Un peu plus de 90 % de nos bières sont des India Pale Ale. Des gens nous font des reproches parce qu’on brasse juste ça, mais ce qu’on brasse, on le fait à merveille. Cette reconnaissance, c’est incroyable comme feeling. »

Pour le jeune brasseur, cela tombe d’autant plus à point que la pandémie de COVID-19 force les amateurs d’ici à s’approvisionner localement, y compris ceux qui tiennent les artisans américains en haute estime. « Les brasseries américaines s’y connaissent en hazy IPA et ils ont peut-être tendance à nous regarder de haut, estime Marc-André Cordeiro Lima. Quand les gens vont pouvoir retourner aux États-Unis, ils vont pouvoir comparer et ils vont s’apercevoir qu’on l’a l’affaire, ici. »

À l’inverse, cela pourrait aussi contribuer à faire de l’Outaouais une destination brassicole enviable. « Depuis le départ, mon associé et moi tentons de créer un hype autour de l’Outaouais, affirme Marc-André Cordeiro Lima. Il y a Gallicus, qui brasse d’excellentes bières, 5Baron ,qui fait sa place [au troisième rang des meilleures nouvelles brasseries au monde en 2020, selon RateBeer], et aussi À la Dérive, une bistro-brasserie qui travaille super bien. »

À défaut de pouvoir se rendre à Gatineau pour faire le plein de HYPA ou de Los Tabarnacos, on pourra bientôt avoir un meilleur accès aux produits de la Brasserie du Bas-Canada, distribués jusqu’à maintenant au compte-gouttes. « On travaille sur un projet d’agrandissement pour l’été prochain qui nous permettra de tripler notre superficie, nous apprend le jeune entrepreneur. La majorité des 12 000 pi2 seront destinés à la production, mais on aura aussi un plus gros salon de dégustation de même qu’un chai avec au moins 20 barils. »

Si Marc-André Cordeiro Lima veut ainsi montrer que sa brasserie est capable de diversifier sa production, il n’est absolument pas question d’abandonner ses fameuses IPA. « On ne laissera pas tomber, c’est certain, assure-t-il. Si on perd notre titre, c’est parce que quelqu’un va venir nous le chercher. On sait qu’il y a énormément de gens talentueux qui peuvent nous dépasser, mais on va clairement défendre notre honneur. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les frères Philippe et Mathieu Tessier (à droite) ainsi que Felix St-Hilaire et Maxime Naud-Denis, les quatre fondateurs de la brasserie Les Grands Bois

Les Grands Bois

Saint-Casimir

« On a commencé à brasser des lagers parce que ce sont des bières qui nous intéressent, nous indique le brasseur Philippe Tessier. On a voyagé partout dans le monde pour en apprendre plus, en plus d’échanger avec d’autres brasseurs qui s’intéressent eux aussi beaucoup aux pilsners, comme les gars de l’Isle de Garde ou André Trudel, anciennement du Trou du Diable. On ne pensait donc jamais en brassant ça qu’on serait les meilleurs au monde. On n’a d’ailleurs absolument pas la prétention de faire les meilleures lagers ! Mais quand on voit dans le palmarès RateBeer que plusieurs brasseries réputées dominent logiquement leurs catégories, pour nous, de nous retrouver là est quand même une assez grande surprise. On est vraiment contents ! »

C’est d’autant plus remarquable que les lagers pâles, qui comprennent notamment les extrêmement populaires et répandues pilsners tchèques, bohémiennes et américaines, sont une catégorie chaudement disputée. Si les gars des Grands Bois font remarquer avec justesse que les brasseries nord-américaines sont favorisées par le fait que les notes sur RateBeer proviennent surtout de notre côté de l’Atlantique, ils ne vont tout de même pas bouder leur plaisir. « On est vraiment contents, assure de son côté Mathieu Tessier, frère de Philippe et directeur des ventes de la brasserie de la région de Portneuf. Toutes les brasseries avaient une chance égale, personne n’a envoyé de bières à un panel de juges ou quoi que ce soit. Les lagers pâles sont aussi le style le plus commun au monde, ce n’est pas quelque chose de niché ou de particulier. On est donc très fiers, c’est le genre de bière que l’on aime beaucoup et que les gars s’efforcent de brasser depuis plusieurs années. »

Malgré qu’ils tiennent à conserver leur titre en 2021, les frères Tessier disent ne pas ressentir trop de pression. « Une bonne pale lager est un produit à la fois simple et complexe ; il faut qu’elle soit bien équilibrée, parce que s’il y a un minime défaut, on va tout de suite le savoir, explique Philippe. Au bout du compte, on a bon espoir que lorsqu’on va sortir une bière, elle va être bonne. On le fait bien et on risque de continuer à bien le faire. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Michaël Fiset, brasseur et copropriétaire de la microbrasserie Maltström, a gagné son pari de se spécialiser dans le brassage de lagers houblonnées.

Maltström

Notre-Dame-des-Prairies

La petite brasserie située à un jet de pierre de Joliette s’était retrouvée en 2017 au sein du top 10 des meilleures nouvelles brasseries au monde selon RateBeer. Ce qui lui a permis de se distinguer alors lui permet aujourd’hui de s’affirmer comme meilleure brasserie de lagers houblonnées. « C’est un petit créneau, un petit marché qu’on avait décidé de prendre, et le fait que l’on se maintient dans cette catégorie-là, c’est une belle réussite », reconnaît Michaël Fiset, copropriétaire et brasseur.

L’équipe de Maltström a toutefois travaillé fort pour en arriver là, notamment en se dotant d’équipements faits sur mesure pour la méthode de brassage privilégiée par Michaël Fiset, la décoction. « J’en faisais depuis quelque temps. Mais maintenant, on s’est organisés pour le faire à notre goût, soutient-il. C’est donc un travail d’ingénierie qu’il a fallu réaliser, car on doit pomper une partie du mélange d’eau et de grain hors de nos cuves lors du brassage ; il a fallu faire le design du système pour que ça ne bloque pas. »

Résultat, des lagers houblonnées qui ont du corps et qui se boivent remarquablement bien, fidèles au souhait de Michaël Fiset, lui-même grand amateur de lager devant l’Éternel. « Quand des gens lèvent le nez sur la lager, je leur réponds que c’est la bière commerciale qu’ils n’aiment pas, insiste-t-il. Il ne faut surtout pas me dire que tu n’aimes pas la lager ! »

Pour le brasseur, les reconnaissances obtenues par les artisans du Québec témoignent du dynamisme de notre milieu brassicole. « Si on est si bons, c’est grâce à la SAQ, soutient Michaël Fiset en rigolant. Pendant des années, la SAQ s’est foutue de la bière et les Québécois ont donc été contraints de s’arranger avec leurs propres moyens. On a ensuite développé des styles qui nous sont propres, on a commencé à hybrider des genres, c’est d’ailleurs ce qu’on a fait nous-mêmes. Tranquillement, on a été obligés d’innover, si bien qu’aujourd’hui, la grande majorité des prix d’excellence sont attribués aux microbrasseries du Québec. »

Les coups de cœur des brasseurs

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

La HYPA II, de la Brasserie du Bas-Canada

La série HYPA

Pour Michaël Fiset, de la microbrasserie Maltström, la gamme HYPA de la Brasserie du Bas-Canada frôle la perfection dans le genre. « Je ne suis pas un amateur de bière forte, mais c’est hyper goûteux et super équilibré, ce que l’on voit peu au Québec, soutient le brasseur. C’est sec, c’est bien fait, leur exécution est parfaite, elle n’est jamais oxydée, jamais brunâtre. Leur gamme HYPA est vraiment bien faite. C’est pleinement mérité qu’ils aient gagné dans la catégorie de la meilleure IPA au monde, et ce n’est pas facile de s’imposer dans ce créneau-là, parce que si tu te contentes de faire une énième IPA ordinaire, tu te plantes à coup sûr. »

PHOTO FOURNIE PAR LA MICROBRASSERIE LES GRANDS BOIS

La Coup de Foudre Vycepny, de la microbrasserie Les Grands Bois

Coup de Foudre Vycepny

La Coup de Foudre Vycepny sera de retour sur les tablettes des détaillants spécialisés dans moins d’un mois, une bonne nouvelle pour Marc-André Cordeiro Lima, qui apprécie tout particulièrement cette pilsner de la brasserie des Grands Bois. « C’est faible en alcool, bien exécuté, les gars reproduisent vraiment bien les classiques, explique le copropriétaire de la Brasserie du Bas-Canada. Bière sèche avec une amertume légère à moyenne, il faut être prudent de ne pas la boire trop vite ! Un light pils dans les mêmes cordes que les meilleures du style. C’est plus technique à brasser, le tout se joue vraiment dans les nuances ; il y a de la recherche derrière, c’est certain. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

La Brut India Pale Lager Assemblage 2021, de la microbrasserie Maltström

Brut India Pale Lager Assemblage 2021

Pour Mathieu Tessier, copropriétaire de la Brasserie Les Grands Bois, les collègues de chez Maltström ont tapé dans le mille avec leur plus récent mariage d’une lager fermentée en barriques de chêne français avec levure Brettanomyces Claussenii et d’une bière jeune houblonnées à cru. « Un produit bien exécuté et super bien balancé, nous écrit Mathieu Tessier, lutteur à ses heures. Les notes légèrement funky du brett se marient parfaitement aux arômes fruités du houblon. Tout ça est bien [soutenu] par de subtiles notes vanillées provenant du passage en barrique. Niveau de buvabilité assez élevé. »