(Le Cap) Les ventes de vin ont enfin été réautorisées par le gouvernement sud-africain, faisant la joie des amateurs et des fêtards, mais pour les acteurs du secteur la mesure arrive trop tard pour sauver des milliers d’emplois.

La viticulture a été gravement touchée par la série d’interdictions de vente d’alcool imposées depuis près d’un an pour réduire le nombre de blessés arrivant dans les hôpitaux, déjà encombrés par les malades de la COVID-19.

La troisième interdiction du genre, décrétée fin décembre en pleine seconde vague de l’épidémie en Afrique du Sud, a été levée lundi soir.

Mais l’annonce n’a pas vraiment remis le moral au beau fixe.

« Les domaines viticoles ont été privés des revenus des ventes sur le marché local pendant un total de 20 semaines depuis mars », souligne Rico Basson, patron de Vin Pro qui représente 2500 producteurs et autres acteurs de l’activité.

Le secteur du vin a perdu plus de huit milliards de rands (environ 675 millions $) de ventes directes, menaçant les moyens d’existence de 27 000 personnes, a-t-il expliqué dans un communiqué.

« Si nous sommes heureux que les entreprises puissent gagner à nouveau un argent plus que nécessaire, le chemin vers le rétablissement sera long et difficile », estime-t-il. Et « pour certaines, il est déjà trop tard ».

Pas de capacité de stockage

PHOTO RODGER BOSCH, AGENCE FRANCE-PRESSE

De nombreux vignobles n’ont pas l’espace pour stocker, voire l’argent pour vendanger, embouteiller et étiqueter le millésime 2021.

Avec la baisse de la consommation de vin, le stockage devient un casse-tête pour certains producteurs. Le pays est submergé par 300 millions de litres d’excédent de vin, alors que les vendanges ont commencé.

De nombreux vignobles n’ont pas l’espace pour stocker, voire l’argent pour vendanger, embouteiller et étiqueter le millésime 2021.

« La plupart des producteurs n’ont pas beaucoup de capacité en termes de cuves. Et avec les vendanges qui commencent, ces cuves doivent être disponibles pour recevoir les nouveaux jus », explique Gerard Holden, propriétaire du vignoble Holden Manz, « c’est sans issue ».

« Est-ce que je jette ces vins et subis une perte ? Ou est-ce que je cueille les raisins […] et les laisse pourrir par terre et me prive d’une récolte en 2021 ? Les gens vont devoir prendre des décisions incroyablement difficiles ».

De nombreux producteurs de vin connaissent des difficultés financières et certains sont psychologiquement fragilisés.

Le vignoble sud-africain emploie 269 000 personnes, principalement autour du Cap, selon Vin Pro qui a calculé que chaque salarié du secteur fait vivre en moyenne six autres personnes.

Maryna Calow, chargée de communication de Wines of South Africa, qui promet le vin sud-africain à l’export, prévoit que l’excédent actuel va faire dégringoler les prix, quand des producteurs dans le désarroi vont se débarrasser de leur stock.

Elle craint aussi que 80 domaines et 350 viticulteurs mettent la clé sous la porte dans les six à 18 prochains mois.

Référencement compromis

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De nombreux vignerons ont espéré en vain compenser les pertes de revenus avec la période des Fêtes. Et certains redoutent une nouvelle interdiction à l’horizon.

« Certaines exploitations ne fermeront pas forcément, mais seront vendues, soit à des investisseurs internationaux, soit à une structure plus importante », estime-t-elle.

La première interdiction en mars concernait aussi les ventes à l’étranger, où les vins sud-africains se sont fait une réputation grâce à leur bon rapport qualité-prix.

Des vins d’autres pays en ont rapidement profité pour combler le vide.

Le blocage des exportations début 2020 a « totalement compromis notre référencement à l’étranger », déplore Carolyn Martin, cofondatrice des vins Creation Wines.

De nombreux vignerons ont espéré en vain compenser les pertes de revenus avec la période des Fêtes. Et certains redoutent une nouvelle interdiction à l’horizon.

« Tout le monde parle déjà d’une troisième vague. Comment peut-on l’anticiper ? On ne peut pas s’y préparer si on vous coupe la gorge par surprise » avec une annonce du jour au lendemain, estime Lieza Van der Merwe, responsable du marketing de Merwida Wines.

« C’est inconfortable. Impossible de prévoir ce qu’il va se passer », dit-elle.

Vin Pro a demandé à la justice de laisser la région du Cap légiférer sur la consommation locale d’alcool. Et d’autres actions en justice pourraient suivre ailleurs dans le pays, estime l’organisme.