(Liergues) Filets anti-grêle, modification de la hauteur des pieds, expérimentation du potentiel de cépages plus lointains ou anciens : les vignobles du Beaujolais et du Bordelais testent des parades au changement climatique pour aider les exploitants à s’adapter aux soubresauts de la météo.

Le soleil de plomb accablant le vignoble du Beaujolais, dans le centre de la France, en cette fin d’après-midi de septembre illustre la thématique de l’opération menée ce jour-là sur cette parcelle « cobaye » : « Découverte des différents leviers d’adaptation au changement climatique ».

L’opération est conduite par l’organisme technique au service des vins du Beaujolais (Sicarex) sur son domaine du Château de l’éclair.

Le changement climatique, « ce sont des périodes très contrastées, extrêmes : quand il pleut, c’est longtemps et beaucoup, des orages violents, de forts gels, ou des températures plus élevées sur des phases plus longues, ce qui influence la composition des raisins, en sucre et en acidité », constate Bertrand Chatelet, directeur du domaine.

Comment faire face ? Venus de plusieurs des 12 appellations du Beaujolais, une bande d’une cinquantaine de kilomètres s’étendant au nord de la ville de Lyon, viticulteurs et étudiants arpentent ce terrain parfois très escarpé en quête de pistes.

Par exemple : des rangs de vignes enchâssés dans des filets anti-grêle. S’ils protègent les grains des précipitations, ces filets produisent aussi un « effet d’ombrage », explique Taran Limousin, de l’Institut de la vigne et du vin (IFV), partenaire de la Sicarex.

Plus loin, on teste la hauteur de la haie foliaire. En général, le tronc mesure 60 cm, là il passe à 90 cm : en réduisant la quantité de feuilles et donc la photosynthèse, « l’objectif est de rallonger le cycle de la vigne », détaille Jean-Yves Cahurel, de l’IFV.

Une maturation plus tardive décalerait ainsi d’autant les vendanges, à une période « où il ferait moins chaud » et le nécessaire équilibre sucre-acidité serait mieux respecté.

Autre marge de manœuvre : l’intervention sur le cépage lui-même. Extraits du conservatoire de la Sicarex, des pieds de gamay — cépage principal en Beaujolais — qui n’étaient plus utilisés, car présentant une maturité tardive sont sélectionnés et replantés. L’aspect le plus inédit reste l’expérience d’introduction de cépages typiques du sud de la vallée du Rhône encaissant plus la chaleur comme la syrah ou le viognier.

Des cépages portugais « prometteurs »

À Quincié-en-Beaujolais, à 450 mètres d’altitude, le Château de Varennes en a ainsi planté 1,8 hectare, sur 20, pour une première récolte ces jours-ci. « D’ici 10 ans, avec le réchauffement, ce type de cépages idéal pour le sud le deviendra aussi pour le nord », indique le régisseur Pierre-Olivier Sauvaire.

Près de Bordeaux, dans le sud-ouest de la France, sur la « parcelle 52 » — pour ces 31 cépages rouges et 21 blancs piochés dans les vignobles français et du sud et sud-est de l’Europe —, une expérimentation d’ampleur commencée en 2009 teste le potentiel de variétés tardives quasi inconnues du Bordelais ou oubliées.

Encore quelques jours, et les arinarnoa et marselan seront prêts à être vendangés sur cette parcelle d’un demi-hectare au sein des terres de l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae).

« En 2050, Bordeaux pourrait connaître un climat de Séville […] Si on ne fait rien maintenant sur les cépages, on court un grand risque de perdre la typicité de nos vins », indique Bernard Farges, président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), partenaire de l’expérience VitAdapt.

« Avec le changement climatique, on obtient des raisins qui mûrissent trop tôt dans l’été. Gorgés de sucres, ils sont moins acides, c’est moins de fraîcheur, moins d’équilibre et un potentiel de garde altéré », explique Agnès Destrac-Irvine, ingénieure d’études à l’Inrae et coresponsable de VitAdapt.

Dans le Bordelais, le merlot, cépage majoritaire, pâtit de sa nature précoce au point d’être « maintenant sorti de sa fenêtre optimale de qualité » par endroits, estime-t-elle.

Les scientifiques recherchent donc des variétés qui arrivent à maturité le plus tard possible.

Dix ans et « beaucoup d’analyses » plus tard, le Bordelais vient d’obtenir le feu vert pour tester des « cépages d’intérêt à fin d’adaptation » dans ses vignobles.

Avant les grands crus classés, l’expérience commence par les appellations AOC bordeaux et bordeaux supérieur. Depuis cette année, elles peuvent intégrer à petite dose six nouvelles variétés dont les ibériques touriga nacional et alvarinho, sélectionnées à partir des études sur la « parcelle 52 ».

Depuis 2015, 21 « cépages d’intérêt » ont été vinifiés en microcuvées puis évalués par des dégustateurs experts.

Quelques millésimes plus tard, le casting donne la part belle à certains cépages portugais, « prometteurs et bien notés » comme le touriga nacional : « il arrive tardivement à maturité, peut être récolté plus tard et offre des typicités intéressantes », constate Cécile Thibon, ingénieure Inrae.

Et le touriga franca apparaît, lui, comme un « tout petit producteur de sucres qui pourrait aider les viticulteurs à faire baisser le vin de quelques degrés », appuie Mme Destrac-Irvine.