« La bière, c’est fait avec des grains. » La phrase semble banale comme une blonde industrielle, mais Samuel Oligny, assis sur la terrasse de Terre à boire, juge bon de le dire et le redire. C’est là toute l’essence de la nouvelle ferme-brasserie-distillerie de Saint-Blaise-sur-Richelieu, en Montérégie, où bon goût et écologie s’entrechoquent « de la terre au verre ».

Issu d’une lignée de producteurs « grandes cultures », le jeune brasseur s’est lancé il y a quatre ans dans la production de grains brassicoles biologiques en compagnie de son beau-frère, Jason Audette, et de ses parents, Jean-Guy Oligny et Linda Nadeau. Au fil des ans, le maïs et le soya ont fait place à d’autres céréales : avoine, blé, sarrasin, seigle, etc.

Sans oublier l’orge, mère des bières qui occupe aujourd’hui 30 hectares.

« La plupart des micros qui commencent utilisent du malt allemand Weyermann, explique Samuel Oligny. Elles ont une stabilité de goût, c’est tout le temps la même affaire, mais c’est un peu poche. J’aime avoir des brassins qui divergent, jouer avec la nature. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Jason Audette et Samuel Oligny

Rares sont les brasseries à se dire « fermières » et dont les produits sont faits à 100 % de leurs grains, biologiques de surcroît. « On veut aussi se tourner vers des variétés anciennes, de millet ou d’épeautre, par exemple. Sinon, ces variétés vont disparaître. Si on est capables de les rentabiliser, on serait fous de s’en priver. »

Un colossal silo qui se dresse à l’avant du terrain pourrait même accueillir un centre d’interprétation des grains, note Jean-Guy Oligny. « C’est l’une de nos principales missions : faire de l’éducation. » En ce sens, la brasserie détaille souvent sur sa page Facebook les étapes de production de ses bières.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Samuel Oligny

Rares aussi sont les « fermes brassicoles » qui font pousser presque 100 % de leurs fruits et plantes aromatiques. Derrière le bâtiment principal, des framboises, des noisetiers, des cerisiers, de la viorne trilobée, du sureau, des aronias, des épinettes, de l’amélanchier et des érables se préparent peu à peu à plonger dans une pinte.

Mieux encore, Terre à boire souhaite gagner son indépendance en matière de houblons.

En 2018, sur 40 plants, on a testé quelque chose comme 35 houblons différents. On a choisi de se concentrer sur les variétés qui poussaient bien, comme le Cascade ou le Chinook.

Jason Audette

Question de passer de la théorie à la pratique, les flaveurs s’exprimeront entre autres dans des bières SMaSH, brassées à partir d’une seule variété de malt et de houblon. « Même si tu respectes toujours la même recette, les grains et les houblons ne développent pas les mêmes arômes d’une année à l’autre », explique Samuel Oligny.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Lors de notre passage, sept bières en fût étaient offertes.

Lors de notre passage, 7 bières en fût étaient offertes, mais à terme, 16 lignes achemineront le doux nectar. « On souhaite offrir deux palettes de dégustation : l’une de bières classiques, l’autre de découvertes. »

Mission environnementale

« Pour nous, une vraie bonne bière l’est non seulement au goût, mais aussi pour l’environnement et le développement régional », déclare l’entreprise sur les étiquettes appariées aux cruchons. La ferme a amorcé son virage biologique en 2014, sous la pression de Samuel Oligny, qui allait naguère manifester à Montréal contre Monsanto. « J’ai dit : “Si on ne fait pas la conversion, je débarque.” » Parmi les prix à payer : « La terre demande sept fois plus d’arrosage », souligne Jean-Guy Oligny, qui ne retournerait pas en arrière.

Si tu n’es pas une ferme brassicole, je ne crois pas que tu vas subsister. Un jour, ceux qui n’utilisent pas les grains du Québec vont se faire regarder de travers. Quand on va allumer qu’on veut sauver la planète, il va y avoir un déclic.

Samuel Oligny

Pour élever Terre à boire, ses propriétaires n’ont pu faire autrement que de démolir une grange, il y a trois ans. Mais encore là, il fallait que rien ne se perde, mais que tout se transforme.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le bois d’une ancienne grange a été réutilisé pour construire le bar du salon de dégustation.

Le bois a été réutilisé pour construire le bar du salon de dégustation, des roues de bois servent de luminaires et des bancs ont été récupérés de l’église de Saint-Blaise. L’immense enseigne cylindrique qui accueille les clients est d’ailleurs un ancien réservoir industriel.

La salle de brassage, en revanche, est on ne peut plus moderne. Des cuves de fermentation de 1000 L de l’entreprise de Bécancour Systèmes de Brassage H. M. rivalisent avec un alambic de Specific Mechanical, fabricant de Victoria, en Colombie-Britannique. C’est que Terre à boire est aussi une distillerie, dont les premiers produits – gin, vodka, liqueur d’érable – restent à venir. « Mes parents poussaient le côté spiritueux, mais Jason et moi, c’était plus la bière, note Samuel Oligny. On a décidé de faire les deux. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Terre à boire dispose d’une salle de brassage des plus modernes.

L’entreprise vise les certifications « Bio » et « Origine Québec », un doublé presque inexistant dans les SAQ, abstraction faite des produits de la distillerie Le Grand Dérangement.

C’est important pour nous de faire notre alcool neutre. Huit distilleries sur dix au Québec l’achètent en grosse quantité en Ontario. Ce serait pas mal plus facile, mais on veut uniquement des ingrédients québécois.

Jean-Guy Oligny

Alors que Terre à boire ouvre son salon de dégustation aux clients pour un premier été, les projets sont infinis : faire vieillir des bières en barriques, malter des grains crus sur place, organiser des concerts ou des projections sur le silo, jeter les bases d’un vignoble, installer des ronds de feu, etc., etc., etc.

Sur la terrasse, le soleil se couche et emprunte tranquillement les couleurs de notre West Coast IPA, au moment où se pointent quelques habitués. « À la campagne, les microbrasseries ont remplacé les perrons d’église, constate Jean-Guy Oligny. Les gens des rangs viennent parler entre eux, sinon ils ne se verraient plus. »

Dieu merci, des brasseurs veillent au grain !

Terre à boire

1375, rue Principale, Saint-Blaise-sur-Richelieu

Consultez la page Facebook de Terre à boire

À proximité

Bika Ferme & Cuisine

Bika Ferme & Cuisine, ouvert à l’été 2020, accueille les gourmands dans une maison en pierres ancestrale rénovée. La cheffe Fisun Ercan (feu Su, à Verdun) et son mari y proposent une table champêtre « qui respecte l’environnement, le terroir et les saisons ». « Lorsque ce sera plein, ils vont proposer aux clients de partir avec un repas froid et de venir le déguster sur notre terrasse », explique Samuel Oligny. Terre à boire compte d’ailleurs brasser la « Bika Beer » pour sceller cette collaboration.

Vignoble 1292

Presque en face de Terre à boire, le vignoble familial 1292, qui ne cesse d’accroître sa superficie depuis 2009, possède 4500 plants de vigne et une sélection de sept cépages rustiques : frontenac noir, marquette, sainte-croix, radisson, st. pépin, swenson blanc et frontenac gris. Un arrêt permet de faire une visite guidée des installations (sur réservation) ou de déguster les vins et mousseux du moment.