(Paris) Bordeaux, centre historique du vin, s’est lancée dans une introspection inédite pour essayer d’effacer une image ternie auprès des consommateurs et d’enrayer le recul de ses ventes, en vantant ses « gueules » de vignerons.

Confrontés depuis deux ans à une forte chute de leurs ventes en Chine, et maintenant aux États-Unis avec des surtaxes de 25 % imposées par l’administration Trump, les vins de Bordeaux souffrent surtout d’une « déconsommation » importante en France, qui représente 56 % de ses ventes.

« Sur le marché français […], nous avons perdu un cinquième de nos volumes sur les cinq dernières années, essentiellement sur les vins entre 3 et 5 euros : les consommateurs boivent moins d’alcool, moins souvent, en plus petite quantité et se détournent des vins rouges en favorisant des vins frais comme le rosé ou les bières » a indiqué Bernard Farges, président du Conseil interprofessionel du vin de Bordeaux (CIVB) lors d’une conférence de presse à Paris.

« La tendance est à la modération et cela touche toutes les appellations, tous les alcooliers », a-t-il ajouté.

La contrition va plus loin lorsque le CIVB reconnaît publiquement que l’image de Bordeaux est souvent synonyme « de tradition, d’héritage, de cherté », et n’est pas associée aux vins « souples, fruités, faciles à boire » désormais plébiscités par les consommateurs.

La désaffection est notamment perceptible chez certains cavistes et restaurants « bistronomiques » de  grandes villes qui ne proposent même plus de bordeaux sur leurs cartes, certains viticulteurs se plaignant d’un « bordeaux bashing », c’est-à-dire d’un dénigrement systématique.

Selon une étude interne, sur 100 bouteilles de bordeaux non vendues, 64 sont liées à une « déconsommation » pure, de gens qui boivent moins d’alcool. Quatre sont dues à des consommateurs qui choisissent d’autres vins, et 32 sont le fait d’un report vers un autre alcool, essentiellement la bière artisanale, à la mode.

En conséquence, le CIVB a décidé de réorienter ses opérations de promotion vers les professionnels qui pèsent sur les décisions d’achat, les sommeliers, les restaurateurs, les cavistes et la grande distribution, pour tenter de les convaincre que Bordeaux n’est pas que cher et vieillot, mais qu’on y trouve aussi des pépites et de la nouveauté.

Les vins de Bordeaux vont désormais mettre en valeur les « gueules » de vignerons de la région et leurs savoir-faire artisanaux.

« Certes nous sommes les grands crus et les crus classés de 1855, mais nous ne sommes par que cela » a dit M. Farges en citant « les reconversions, les hipsters, les créatifs et les fous » de Bordeaux qui gagneraient à être mieux connus des amateurs de vins.

Autre axe fort de développement, la Gironde, qui apparaissait comme l’un des points noirs de la consommation de pesticides en France en 2015, vante désormais sa politique de « haute valeur environnementale » (HVE).

« Pas de retour en arrière »

La haute valeur environnementale est une norme française à trois niveaux créée en 2012 par le ministère de l’Agriculture, qui reconnait les efforts des exploitations viticoles et agricoles pour réduire les pesticides et les engrais chimiques, augmenter la biodiversité (notamment les chauves-souris qui se nourrissent d’insectes attaquant les vignes), et mieux gérer l’eau.

Sans être devenu totalement bio, le département affiche désormais le plus important nombre d’exploitations en France certifiées HVE (1047 exploitations sur 5399 dans la France entière).

En Gironde au total, 65 % des exploitations sont engagées dans une démarche environnementale, alors qu’elles n’étaient que 35 % en 2014, grâce à une démarche collective engagée dans tout le vignoble, et 10 % des surfaces totales sont tout en bio ou en conversion, un doublement en cinq ans.

Le CIVB s’est aussi félicité de la forte baisse d’utilisation des produits dits CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) qui représentent quand même encore un peu plus de 5 % des fongicides employés, mais contre plus de 30 % en 2008. Parallèlement, les produits agréés en agriculture bio pèsent désormais pour 50 % des fongicides employés contre 25 % en 2008.

« Ces chiffres sont le reflet d’une évolution profonde et réelle de nos pratiques. La part des produits agréés en agriculture biologique a doublé en 10 ans […] il n’y aura pas de retour en arrière », a affirmé M. Farges.