(Paris) De l’eau gazeuse, du sucre fermenté et des arômes : a priori, pas de quoi faire rêver un adepte de vin. Et pourtant les eaux alcoolisées tentent une percée sur le marché hexagonal, après avoir suscité l’engouement aux États-Unis.

Créés en 2013, les hard seltzer comme on les appelle en anglais ont triplé leurs ventes en 2019 aux États-Unis, où elles représentaient 2,6 % du marché des boissons alcoolisées, selon l’Institut de recherche sur les vins et spiritueux (IWSR).

L’institut spécialiste de la grande distribution Nielsen chiffre pour sa part leurs ventes à 2,7 milliards de dollars outre-Atlantique rien qu’au premier semestre.

La boisson, qui compte entre 4 % et 6 % d’alcool même si son goût est à peine perceptible, se veut une alternative à la bière et au vin. Gazeuse, peu calorique, peu sucrée, elle surfe sur les tendances de consommation des nouvelles générations à la recherche de produits plus « sains ».

Sa diffusion reste pour l’instant assez confidentielle en France, surtout dans des enseignes spécialisées et certains bars, mais cinq marques s’y disputent déjà le marché naissant : une américaine, Snowmelt, et quatre françaises (Fefe du groupe Syndicat cocktail club-SCC-, Natz, Opéan et Sparking Walter, de la plateforme de livraison de boissons Kol).

Si la pandémie freine leur développement pour l’instant, les eaux alcoolisées vont « faire un carton en festival » l’été prochain, prédit Hadrien Moudoulaud, un des chefs barman du SCC.

Touche française dans la recette

La croissance exponentielle des hard seltzer aux États-Unis n’a pas échappé aux producteurs français, mais quand ils ont testé les boissons originales, ils ont quand même trouvé un gros bémol : le goût.

« Après avoir goûté les eaux alcoolisées américaines, j’ai dit : “jamais je ne ferai ça”, ça ne colle pas avec notre identité », se souvient Hadrien Moudoulaud.

« On n’a pas du tout aimé White Claw (le leader du marché, NDLR), c’est assez chimique, le goût ne passe pas », rajoute Florentin Cugnot, cofondateur de Natz.

La touche française passe donc par des recettes adaptées au palais français.

Pour créer Fefe, les mixologues ont fait appel à la maison de parfumerie et d’arômes Jean Niel, située à Grasse. Le résultat : des eaux pétillantes alcoolisées avec des arômes de menthe-cardamome, concombre-eucalyptus, fraise-bois de santal…

« L’objectif était de créer un produit qui corresponde à cette catégorie des hard seltzer, car on pense qu’il y a un vrai besoin, mais en même temps de garder le côté “Made in France” et l’adapter aux spécificités françaises », explique Romain Le Mouëllic, directeur général du SCC.

Natz propose une eau infusée au thé noir ou au citron puis fermentée, plutôt que d’ajouter des arômes.

La palette des goûts inclut de l’orange amère bio chez Opéan, ou du cactus-fleur d’hibiscus pour Sparking Walter.

Mode éphémère ?

Snowmelt n’a, lui, pas changé les recettes de ses hard seltzer à la grenade, à la mandarine et au citron pour s’implanter en France.

« Le produit se vend très bien sur un marché mature », assure Yann Casen, cofondateur de son importateur français Cobex, qui estime qu’en 2024, les eaux alcoolisées pourraient représenter 220 à 250 millions d’euros et 1 % des ventes d’alcool en France.

En attendant, la plupart des marques se sont invitées cette semaine au salon professionnel Planète bière. Sans réellement inquiéter les brasseurs : « ce sera plus éphémère qu’aux États-Unis », prédit Guillaume Delplanque de la Paname Brewing Company.

« C’est un phénomène qui commence à peine en Europe. Actuellement la tendance pour les hard seltzer est forte aux États-Unis, mais les tendances de consommation ne sont pas forcément les mêmes en Europe », estime aussi José Luis Hermoso, directeur de recherche pour la zone Amérique latine et la France de l’IWSR.

Le monde médical, lui, se méfie surtout de la faible perception d’alcool. Ainsi pour le professeur Amine Benyamina, chef du service de psychologie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP), « il faut arrêter de les appeler eaux alcoolisées, ce n’est pas de l’eau, c’est de l’alcool qui avance masqué ».