Après avoir été boudées par les consommateurs et par certains vignerons, les variétés de raisin adaptées au climat québécois, les hybrides, gagnent peu à peu leurs lettres de noblesse. Elles se retrouvent même parmi les cuvées québécoises les plus demandées.

Lorsque le vigneron Frédéric Simon a démarré son vignoble à Magog en 2011, la possibilité de faire de bons vins avec les variétés d’ici n’était pas une évidence pour lui. Le producteur du très prisé domaine Pinard et filles a plutôt misé sur les cépages européens cultivés dans des climats frais comme le pinot noir, le savagnin et le chardonnay.

Près de 10 ans plus tard, sa perception a changé.

Lors d’une visite cet été, il versait avec fierté un vin fait avec un hybride, le frontenac blanc. La cuvée « À ciel ouvert » est élaborée de la même manière que certains blancs du Jura, soit sans ajout de vin dans la barrique pendant l’élevage. Cette technique développe des arômes d’épices, de noix et de curry très typés.

« Si on avait vinifié les hybrides différemment il y a quelques années, lance-t-il, les vins du Québec auraient été meilleurs. »

Karine Pedneault, chercheuse spécialisée dans la culture des hybrides, est du même avis. « Il faut repenser la manière dont on les vinifie, dit-elle en entrevue. On ne peut pas faire du copier-coller de ce qui se fait en Europe. »

Dans son laboratoire de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, elle a testé plusieurs techniques afin d’élaborer de meilleurs rouges. Karine Pedneault a notamment réduit le temps de contact des peaux de raisin avec le jus. Cette pratique vise normalement à extraire les tannins, la couleur et les arômes. Or, la chercheuse a découvert qu’avec les hybrides, la macération des peaux n’extrait pas que du bon.

Faire le ménage

Dans sa campagne à Saint-Paul-d’Abbotsford, Alain Breault est une référence depuis le tout début de la viticulture au Québec dans les années 1980. Le pépiniériste multiplie et commercialise chaque année plus de 200 000 boutures de vigne. Il connaît par cœur les points forts et les faiblesses de chaque variété, aussi bien les hybrides que les vignes européennes. Il se réjouit de l’engouement retrouvé pour les hybrides.

« Ça m’a déprimé beaucoup que les vignerons embarquent dans les viniferas [variétés européennes], avoue d’emblée M. Breault. Je pense qu’ils ne savaient qu’il y avait de bons hybrides. »

Au cours des 15 dernières années, l’œnologue Richard Bastien remarque que le « ménage a été fait » dans le choix des cépages plantés au Québec. Le Sainte-Croix, le Sabrevois et le De Chaunac produisent rarement de grands rouges, selon l’expert. Tandis que les vins à base de marquette se démarquent de plus en plus.

Selon l’œnologue, c’est cependant la perception des vignerons et des consommateurs qui a réellement changé. « Les vignerons n’ont plus honte de vinifier les hybrides », dit M. Bastien.

87 % des vignes plantées au Québec sont des hybrides, selon le Conseil des vins du Québec (CVQ)

La boutique William J. Walter à Québec se spécialise dans la vente de vin québécois. Selon la propriétaire, Laurie Boisvert, les consommateurs se soucient peu du cépage au moment de choisir les bouteilles. Ses clients s’intéressent surtout à la renommée du vignoble.

Est-ce la fin de la culture du chardonnay et du pinot noir au Québec ? Non, nuance l’agronome Gaëlle Dubé. Mais elle note, elle aussi, que les producteurs n’ont plus peur d’afficher leur préférence pour les hybrides. Une tendance qui s’observe également dans d’autres régions viticoles d’Amérique du Nord, dont celle des Finger Lakes, dans l’État de New York.

Deux vins à base d’hybrides

Bien qu’ils soient moins connus, les cépages hybrides sont les plus plantés au Québec. Voici deux vins pour les découvrir.

Beau, bon, pas cher

PHOTO TIRÉE DU SITE DU DOMAINE CÔTE DE CHAMPLAIN

Côte de Champlain Coquillages 2019

Les hybrides sont généralement moins vulnérables aux maladies, et n’ont donc pas besoin d’être traités autant que les autres cépages. Ils produisent plus de raisins et résistent mieux à notre climat. Résultat : les vins qui en sont issus sont souvent moins chers. C’est le cas de ce blanc du domaine Côte de Champlain. Ce petit vignoble situé à Saint-Théodore-d’Acton, près de Drummondville, cultive uniquement des variétés hybrides. Son blanc, qui réunit vidal, seyval et frontenac blanc, est très bon. Les parfums de fleurs, de lime et de pêche remplissent le verre. En bouche, on se régale avec la longue finale saline qui fera un mariage heureux avec les huîtres.

Côte de Champlain Coquillages 2019, 14,95 $, (14 575 286)

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Soif d’originalité

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SAQ

Le Chat Botté Rouge Bourbon 2018

Ce rouge du Québec va en séduire plus d’un avec son nez aux arômes d’épices douces et de vanille. Cet assemblage est composé de marquette, de frontenac noir, de sabrevois et de radisson. Le vigneron du Chat Botté, Normand Guénette, a eu l’idée de faire l’élevage dans des fûts de chêne américain ayant auparavant contenu du bourbon ! Une fois en bouche, l’attaque juteuse se prolonge dans une trame d’épices douces et de fleurs.

Le Chat Botté Rouge Bourbon 2018, 24,90 $, (14 505 667)

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Gel au Québec

Les vignerons québécois ont peu dormi la semaine dernière. Le mercure a descendu sous zéro dans certaines parties de la province, et ce, pour plusieurs nuits consécutives. Alors que la majorité des raisins ne sont pas encore ramassés au Québec, le gel bloque la maturité des fruits. La vendange doit alors être précipitée. Certains domaines, comme le domaine du Nival, près de Saint-Hyacinthe, l’ont échappé belle. Grâce à une tour à vent actionnée en pleine nuit, ses vignes n’ont pas gelé. « On aurait pris quelques journées de plus pour exploiter pleinement le très bel été que nous avons eu », observe l’œnologue Richard Bastien.