(Reims) Vignerons et maisons de négoce de champagne se déchirent sur la question du rendement commercialisable de la prochaine vendange, un désaccord historique révélant des intérêts rendus divergents par la crise de la COVID-19.

« Les vignerons veulent 8500 kilos à l’hectare et les maisons entre 6000 et 7000 kilos », résume Bernard Beaulieu, viticulteur à Mutigny (Marne).

« Cette absence d’accord à un mois de la vendange, cela ne s’est jamais produit depuis l’après-Seconde Guerre mondiale », souligne l’ancien secrétaire général de la CGT-Champagne.

Regroupé sous la bannière de l’Union des maisons de champagne (UMC), le négoce achète 80 % de son approvisionnement en raisins auprès des vignerons champenois.

Mais les maisons veulent beaucoup moins de raisins qu’en 2019 (10 200 kg/ha) parce qu’elles sont confrontées à deux difficultés majeures qui pèsent sur les trésoreries d’entreprises souvent endettées : la dégringolade des ventes liée à l’épidémie de COVID-19 et le surstockage.

Le recul commercial pour 2020 est ainsi estimé par le négoce à 100 millions de bouteilles, soit 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires en moins (cinq milliards d’euros en 2019).

S’y ajoutent les coûts liés au surstockage de quelque 400 millions de bouteilles, plus d’une année de vente, sur un stock global dépassant le milliard de bouteilles.

Les vignerons, eux, ne veulent pas descendre à moins de 8500 kg/ha d’autant que, selon Bernard Beaulieu, la vendange 2020, qui devrait démarrer autour du 20 août, s’annonce « très qualitative sur des vignes pouvant produire jusqu’à 16 000 kg/ha ».

« Le Syndicat général des vignerons (SGV) considère que l’objectif du négoce vise surtout à alléger une partie de ses stocks », regrette dans un communiqué son président Maxime Toubard.

« Le vignoble défend un niveau de rendement qui permette de couvrir les expéditions 2020 et d’assurer la pérennité des exploitations », défend-il avec d’autant plus de vigueur que le SGV n’a toujours pas réussi à convaincre le gouvernement d’accorder à la filière de plus larges exonérations de charges sociales.

« La fin du syndicalisme viticole »

« Neuf mille kilos à l’hectare, c’est le seuil sous lequel on ne doit pas passer », renchérit Yves Couvreur, président des Vignerons indépendants de Champagne qui fédère environ 400 viticulteurs producteurs de leur marque.

« Soyons intelligents et innovons », lance-t-il.

Il propose d’en « finir pour les deux ou trois années de crise » avec le rendement unique pour tous les vignerons.

« Les seuils de rupture ne sont pas les mêmes pour ceux qui vendent leur raisin et ceux qui vivent de leur marque », qui ont des frais supplémentaires, explique-t-il.

Yves Couvreur comme d’autres vignerons n’est pas non plus hostile à l’idée de faire évoluer, contre le négoce, la durée légale de vieillissement en cave de 15 mois à 18 voire 24 mois.

« Toute proposition pour ne pas charger le marché est bonne », estime-t-il.

À l’Union des Maisons de Champagne, c’est silence radio. « Pas de commentaire en cours de négociation ! », répond sobrement à l’AFP le directeur général David Chatillon, renvoyant toute communication à la date décisive du 18 août, où se réunira le Comité champagne, regroupant vignerons et négoce.

« Si un accord n’est pas trouvé, alors cela sera à l’INAO (Institut national des appellations d’origine) de fixer ce rendement. Et là, c’est le coup de poker d’un côté ou de l’autre » redoute Bernard Beaulieu.

« Pour moi, c’est la fin du syndicalisme vigneron. On est mal barré ! » prophétise le viticulteur de Mutigny qui voit s’étendre sur le vignoble champenois et ses quelque 4000 vignerons l’ombre des grands opérateurs du négoce.