Alors qu’une hausse de la consommation d’alcool dans la Belle Province durant le confinement était redoutée, celle-ci ayant été observée en Europe ou aux États-Unis, les Québécois se démarquent à nouveau par leur sens des responsabilités. Deux sondages aux résultats concordants démontrent qu’une grande majorité d’entre eux n’a pas levé le coude plus qu’à l’habitude, certains ayant même jugulé leur propension pour la boisson.

Les files d’attente s’étant formées devant certaines SAQ ces dernières semaines n’étaient qu’une fausse alerte. Selon un sondage CROP commandé par l’organisme de prévention Éduc’alcool et dévoilé mardi, près de 70 % des Québécois ont indiqué ne pas avoir modifié leur consommation d’alcool depuis le début du confinement, tandis que 14 % d’entre eux disent même l’avoir réduite. Environ 18 % ont confié boire davantage, dont seulement 3 % de façon substantielle. Bref, ils ont mis de l’eau dans leur vin en ces temps pourtant incertains.

Hubert Sacy, directeur général d’Éduc’alcool, se dit agréablement surpris par ces résultats, d’autant plus que la période de confinement constitue a priori un cocktail idéal pour une explosion de la consommation : tendance à recourir à l’alcool pour inhiber l’angoisse, augmentation du temps disponible, meilleure accessibilité à notre cellier à domicile, diminution de la crainte de conduire en état d’ébriété...

Pour s’assurer que le portrait soit le plus juste possible, l’organisme a comparé ce sondage, réalisé les 4 et 5 avril, avec les résultats d’un questionnaire similaire soumis en février dernier aux consommateurs québécois. « Si quelqu’un qui buvait 35 verres par semaine est passé à 32, il y a une diminution, mais cela ne suffit pas, pointe M.  Sacy. C’est pourquoi nous avons fait cette comparaison qui nous permet d’affirmer avec certitude que les Québécois n’ont pas abusé de l’alcool depuis le début de la pandémie. Ce sont de bons élèves ! »

Se serrer les coudes, sans les lever

Comment expliquer cette exception québécoise, alors que les hausses de taux de consommation enregistrées en Europe ou en Australie ont de quoi donner le tournis ?

Hubert Sacy y va de quelques présomptions, évoquant le fruit du travail de fond opéré par Éduc’alcool depuis trois décennies, mais soulignant aussi une mentalité spécifique au Québec. « Quand ça va mal, les Québécois se serrent les coudes, sont moins “délinquants”. Il y a une vieille tradition de suivre les règlements et de rentrer dans le rang en temps de crise », fait-il remarquer. Autres suppositions : l’homo buvus quebecus est un animal social qui semble préférer boire entouré de proches, de préférence en terrasse ou au comptoir, plutôt que seul affalé dans son sofa ; en outre, il est prudent face à la situation actuelle, limitant aussi bien les sorties pour se rendre aux magasins que celles de son portefeuille.

Et la petite ruée vers la SAQ ? Il appert qu’elle signalait plus la constitution d’une réserve par crainte d’une pénurie (au même titre que les raids incongrus pour le papier-toilette) que la volonté d’une consommation débridée. « On a constaté une hausse de la clientèle au début de la crise, mais quand les gens ont su que les succursales de la SAQ et les dépanneurs resteraient ouverts, il y a eu une accalmie », rapporte Linda Bouchard, porte-parole de la société d’État.

Le jeune, le riche et l’anxieux

Par ailleurs, certaines tendances se dessinent parmi ceux qui ont augmenté leur consommation au cours de la pandémie. On remarque ainsi que la catégorie des moins de 35 ans, de même que celle des classes sociales les plus aisées, sont surreprésentées, de même que les personnes se disant affectées psychologiquement par la situation.

Même si les résultats de ce sondage se montrent satisfaisants à ses yeux, l’organisme Éduc’alcool demeure néanmoins sur le qui-vive. « Nous allons poursuivre nos efforts de sensibilisation, surtout en temps de pandémie », annonce le directeur général, précisant qu’il garde un œil sur l’éventuelle persistance de ventes soutenues d’alcool.

Un autre sondage, publié mercredi et réalisé par la firme Léger pour l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) du 27 au 29 mars, va globalement dans le même sens : on y indique que six Québécois sur dix n’ont pas modifié leurs habitudes de consommation d’alcool, un sur six les a réduites mais que plus d’un Québécois sur cinq boit davantage (3 % dit boire beaucoup plus).

La porte-parole de l’ASPQ, Marianne Dessureault, veut tempérer l’enthousiasme provoqué par de tels chiffres, surtout quand elle observe que la tranche des 18-34 ans dit avoir haussé sa consommation. « On a aussi été agréablement surpris, mais on s’est attardés sur le 3 % et le 22 % qui changeaient leurs habitudes, notamment chez les jeunes de 18-34 ans qui montrent la plus forte augmentation. Derrière des chiffes, il y a des gens : 3 %, c’est au moins 200 000 personnes au Québec qui pourraient avoir besoin d’aide », s’inquiète Mme Dessureault, indiquant que son association a publié sur son site web des ressources proposant de nouvelles manières de se divertir.

Elle déplore également que les grandes marques de fabricants d’alcool profitent de la pandémie pour viser les jeunes avec des publicités ciblées, y reprenant parfois les symboles ou la rhétorique de la crise. « Certaines se sont adaptées, on voit par exemple des arcs-en-ciel en bouteilles d’alcool. On ne voudrait pas banaliser la situation de ces personnes ou oublier les jeunes », prévient-elle.

Le sondage en bref

Tendances dans les habitudes de consommation depuis le confinement

• 69 % des Québécois, buveurs ou abstinents, n’ont pas changé leur consommation

• 14 % l’ont diminuée : 7 % un peu et 7 % beaucoup

• 18 % ont dit consommer davantage : 15 % un peu plus et 3 % beaucoup plus

• Parmi ces 18 % qui ont augmenté leur consommation d’alcool, 83 % (15 % du total) boivent plus souvent et 20 % (4 % du total) boivent davantage par occasion.

Fréquence de consommation depuis le dernier mois

• 31 % n’ont pas du tout bu d’alcool (26 % habituellement)

• 14 % ont bu entre une et trois fois (24 % habituellement)

• 18 % ont bu une à deux fois par semaine (24 % habituellement)

• 24 % ont bu de trois à cinq fois par semaine (20 % habituellement)

• 14 % ont bu six ou sept jours par semaine (6 % habituellement)