Entre montagne et fleuve, le Raku est l’un des plus beaux vignobles du Québec. Déformation du mot « recul », il désigne une sorte de « baie terrestre » autour de laquelle les montagnes forment un fer à cheval. C’est cette protection et l’effet modérateur du fleuve, en plus d’un travail acharné, qui permettent à Samuel Lavoie de cultiver des vignes biologiques dans le Kamouraska depuis 2006.

Le Raku n’est pas qu’un vignoble. C’est même avant tout une ferme céréalière et une bleuetière. Seuls 4 des 65 hectares sont consacrés au raisin. Ses 16 500 pieds de vigne sont un joyeux mélange d’à peu près tout ce qui a le potentiel de bien réussir dans son coin de pays. Samuel se permet d’expérimenter. Beaucoup.

Divisé en plusieurs parcelles séparées par d’autres plantations, le vignoble contient des hybrides connus et méconnus (marquette, osceola muscat, adalmiina, La Crescent), du Vitis vinifera (vigne européenne) classique, comme le chardonnay et du vinifera plus rare comme le siegerrebe allemand, le turan, le garanoir et le gamaret.

PHOTO SIMON CHABOT, LA PRESSE

Le recul est un vin blanc fait de roland et de chardonnay.

Le chardonnay doit finir sa saison en tunnels non chauffés, car comme le dit Samuel, « ici, c’est plus venteux que froid ». Mais la première gelée automnale n’arrive pas avant le 20 octobre et les gels printaniers qui menacent tant de vignobles plus au sud ne se produisent pas ici.

L’agriculteur-vigneron est heureux de voir que le Québec ose enfin un peu plus, en matière de diversité. « Il y a tant de cépages plus nordiques qui pourraient bien marcher ici », croit-il. C’est pourquoi il s’est donné pour mission d’explorer et d’expérimenter, afin de trouver l’adéquation parfaite entre cépage et terroir.

La fierté de Samuel

Sa plus grande fierté, pour l’instant, c’est le roland. Ce raisin est une découverte faite en 2000 par Roland Boisvert, qui a enseigné la culture maraîchère et la production de serre à l’Institut de technologie agroalimentaire de La Pocatière. Il s’agirait d’une variété née par hybridation spontanée.

PHOTO SIMON CHABOT, LA PRESSE

Les vignes de roland, un cépage issu d’une hybridation spontanée

La parcelle de roland dans laquelle nous nous promenons, un 22 septembre, est à quelques jours de la récolte. Les vignes ont sept ans. Le raisin est beau et sain. « Je n’ai fait qu’un seul traitement au début de la saison [d’un fongicide accepté en régie biologique]. On a eu beaucoup de pluie à la floraison. » Les baies commencent à se parer d’un hâle cuivré, signe de maturité. « Je regarde les brix, oui, mais je goûte aussi au pépin. Je veux qu’il soit dur, croquant, avec un goût d’amande, pas de vert. »

Le roland a un côté « sucre d’orge » bien présent, que le vigneron équilibre en ajoutant du chardonnay. Il a tenté plusieurs assemblages et semble satisfait de celui-ci. Servi bien frais, le vin dévoile d’abord sa salinité en parfait accord avec sa situation fluviale. On y retourne pour une deuxième gorgée et les fruits jaunes apparaissent. En se réchauffant, le roland prend le dessus avec des notes de butterscotch.

PHOTO SIMON CHABOT, LA PRESSE

Le vigneron-propriétaire Samuel Lavoie

Samuel s’amuse aussi à agencer siegerrebe et muscat (deux cépages très aromatiques), avec un peu de chardonnay, pour calmer l’effet bouquet de fleurs. De manière générale, il ne voit aucune hérésie à assembler des hybrides avec du Vitis vinifera, comme le font Les Pervenches, avec leur seyval-chardonnay, le Vignoble Sainte-Pétronille et quelques autres vignobles québécois.

« Ça me semble sensé, pour l’harmonie des vins. Les vignes rustiques réussissent bien dans notre climat, donnent un bon rendement et nous font découvrir d’autres types d’arômes. Les cépages européens apportent des subtilités et de la complexité au vin. »

Proche de la nature

PHOTO SIMON CHABOT, LA PRESSE

Les vignes profitent ici d’un microclimat. Parce que le fleuve est si près, les premières gelées n’arrivent qu’à la fin d’octobre.

Dans le chai, Samuel travaille aussi le plus naturellement possible. « Je n’ai jamais voulu me mettre à ajouter du sucre, à désacidifier chimiquement. Je vais plutôt ajouter un cépage peu acide comme le madeleine sylvaner pour équilibrer. Du Kool-Aid, tout le monde est capable de faire ça. C’est quoi le mérite si tu te mets à tout corriger ? »

Un minimum de soufre est ajouté environ un mois avant la mise en bouteille, lorsqu’il sent que c’est nécessaire. « Les vins de climats frais sont naturellement protégés par leur acidité. Ça ne sert à rien d’ajouter des tonnes de soufre. »

« Dans le fond, mon rêve, c’est de trouver ce qui fonctionne le mieux chez nous, à tous les niveaux, pour faire un bon vin que des gens iront boire au bord du fleuve, avec un saucisson local, en passant un beau moment. C’est modeste, mais ça me suffit. »

À environ 3000 bouteilles par année, pour l’instant, le Raku produit surtout pour sa région et pour quelques épiceries spécialisées, comme Pascal le boucher et Dans la côte. Les arrivages ont lieu deux ou trois fois par année et le prochain se fera en novembre, mais les quantités seront très limitées, prévient l’agence La QV, qui représente le vignoble.

Consultez le site de la ferme Le Raku : http://www.fermeleraku.com/

Consultez le site de l’agence La QV : https://laqv.ca/