Invasion Cocktail, grand-messe québécoise de la mixologie, commence aujourd’hui. On y constatera, entre autres, à quel point le métier de bartender a changé, pendant la discussion « Derrière le bar : passer d’un job à une carrière ». La création de cocktails est maintenant plus valorisée que jamais. En font foi les expériences de Maria Kostadinova (Blumenthal) et de Chris Natale (restaurant MARCUS, au Four Seasons), qui manient le shaker depuis une trentaine d’années chacun.

Quand et comment avez-vous commencé à travailler dans l’industrie du bar ?

Maria Kostadinova : Je suis arrivée à Montréal en 1992, après avoir fait plusieurs petits boulots en France. Je venais d’atterrir et une amie m’a dit : « J’aurais vraiment besoin de quelqu’un pour servir du vin pendant un gros party qui a lieu ce soir. » J’y suis allée, puis je n’ai jamais arrêté. Par après, j’ai travaillé dans un bar de la rue Saint-Denis. C’était un dimanche soir. Le patron avait décidé de laisser les autres employés partir, croyant que ça serait tranquille. Mais c’était soir de festival au centre-ville. On a fait 7000 $ de caisse à deux. Après cette soirée-là, je n’ai plus eu peur de rien !

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Chris Natale

Chris Natale : Au début des années 80, j’étudiais en hôtellerie et je me cherchais un boulot souple et amusant. J’ai suivi un cours de bartending de quelques semaines et j’ai commencé. J’ai fait beaucoup de Bloody Caesars au début. Puis dans mon deuxième boulot, au Keg, j’avais plus de liberté. Il fallait créer un nouveau cocktail tous les jours. À un moment donné, j’étais rendu le seul barman pour fournir 18 serveurs et serveuses. Ça m’a obligé à devenir très, très organisé et efficace.

Comment le métier a-t-il changé en 30 ans ?

M. K. : Le virage vers la « mixologie » — c’est un mot que je déteste ! – a fait beaucoup de bien, même s’il y a des gens dans le milieu qui se prennent trop au sérieux. Trop, c’est comme pas assez ! Mais au moins, aujourd’hui, on utilise des produits frais pour faire nos cocktails et on a accès à une quantité incroyable d’ingrédients.

C. N. : Dans les années 80, le métier de barman avait un aspect social très important. Aujourd’hui, il tourne beaucoup plus autour de l’amour du cocktail. Les jeunes sont passionnés. Les cocktails sont bien meilleurs, mais ça manque d’interaction au bar.

Qu’est-ce qui vous agace dans votre métier ?

M. K. : L’attitude. On a oublié qu’on était là pour faire plaisir aux clients. On est des bartenders, on tient le bar ! Être bartender, ce n’est pas un style, c’est un travail ! Mes cocktails ne sont pas moins bons parce que j’ai tourné dans le sens inverse des aiguilles d’une montre ou parce que je n’ai pas tenu ma cuillère entre le deuxième et le troisième doigt… Moi, je dis aux jeunes : « Si t’as envie de tenir ton shaker entre tes cuisses parce que ça donne de meilleurs résultats, vas-y ! » Il faut trouver SA manière.

C. N. : Il n’y a pas grand-chose qui m’agace ! J’ai ressenti une fatigue du métier quelques fois et j’ai arrêté de travailler derrière un bar à deux reprises. Je me suis trouvé un job de bureau. J’étais malheureux. Ça a duré six mois. En 1996, j’ai fondé mon école de bar, Absolute Bartending Institute, qui a duré jusqu’en 2012. Là, je suis de retour derrière le bar et j’aime ça.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus ?

M. K. : Aller à la table jaser avec un client ou une cliente pour identifier ce qui lui ferait vraiment plaisir comme cocktail. J’aime aussi la période de recherche et développement. À la maison, je fais des sirops, je déshydrate à peu près tout, je joue avec les épices, les herbes et les fleurs.

C. N. : J’adore être derrière le bar. La plus belle récompense, c’est un client ou une cliente qui dit : « C’est le meilleur cocktail que j’ai bu depuis longtemps ! »

Comment fait-on pour durer dans le métier de bartender ?

M. K. : D’abord, à un moment donné, il faut slacker la boisson ! Ça m’est arrivé souvent d’arrêter complètement de boire. Je me trouve chanceuse d’être très en forme. Les heures sont longues, les fermetures se font tard. Jamais je n’aurais pensé faire encore ce métier à 50 ans, mais je continue de porter mes caisses et mes seaux de glace !

C. N. : Je ne bois jamais pour me soûler. Je joue au hockey. Je fais de la boxe. Mais avant tout, c’est la passion du métier qui permet de continuer à être heureux.

Quels sont les avantages de l’âge et de l’expérience dans ce métier ?

M. K. : Le bar, je le traite vraiment comme si c’était ma maison. C’est chez moi, et les clients sont mes invités. En anglais, on dirait : I own it ! C’est une attitude, une manière de bouger. C’est le fait d’être capable d’agiter un cocktail, de tenir une conversation avec un client tout en donnant des instructions au serveur et en allant chercher deux ou trois bouteilles au bout du bar.

C. N. : La profondeur des connaissances acquises au fil des ans est certainement un avantage. J’ai vécu plusieurs époques du cocktail et j’ai lu sur les autres !

Le festival Invasion Cocktail

C’est aujourd’hui le début d’Invasion Cocktail, avec la Journée pro qui s’adresse à l’industrie. Se déroulant simultanément à Montréal et à Québec, la grande célébration du cocktail propose quelques événements (brunch festif, bartenders invités, etc.), des ateliers et des cocktails signature servis dans une quarantaine de bars. Le festival se déroule jusqu’au 31 mai.