Éliminer les pailles en plastique, c’est bien ! Mais ce n’est pas assez, croient certains bars montréalais qui se lancent dans la préparation de bonbons aux fruits, de craquelins d’amandes et de « soda de retailles » pour donner une deuxième vie à des aliments qui se retrouveraient autrement dans les poubelles. Tour d’horizon.

Au Mal nécessaire, on embrasse la culture Tiki à fond. Ici, les bartenders portent des chemises hawaïennes et les cocktails colorés sont servis dans des ananas et des noix de coco.

Dans beaucoup, beaucoup d’ananas et de noix de coco : chaque semaine, le bar sert environ 200 cocktails dans des fruits sculptés.

Frappé par tout ce qui est jeté pendant un quart de travail – des fruits, des herbes, des serviettes en papier, des pailles, des pics à cocktail, des factures en papier –, le Mal nécessaire a décidé d’entamer un virage vert, il y a trois ans.

Depuis, les serveurs ne travaillent plus seulement la nuit. Deux fois par semaine, ils se relaient pour un quart de travail de jour, appelé « prep day ». Ils préparent 22 sortes de jus frais et de sirops. Ils tentent aussi de donner une deuxième vie à des aliments avant de les jeter.

Même s’il a travaillé tard la veille, Mickey Rizk est derrière son bar, un vendredi midi, armé d’un gros marteau. « Ouvrir les noix de coco demande beaucoup de détermination et d’amour », dit le gérant et chef de bar du Mal nécessaire. Chaque fois qu’il ouvre un fruit, il prélève le jus et la chair. Plus tard dans la journée, l’eau de coco servira à préparer un sirop et la pulpe sera transformée en crème de coco et en craquelins. Le biscuit sec sera ensuite moulu avec du sucre, et cette poudre servira à aromatiser un cocktail à base de rhum appelé le Painkiller.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

La chair et l’eau de coco sont aussi utilisées dans plusieurs recettes.

Quand Mickey ou ses collègues versent un Mai Thai dans un ananas évidé, le fruit a aussi servi dans plusieurs recettes. Le jus a été pressé et la chair a été transformée en sirop, en sauce piquante et en rouleaux aux fruits. Les feuilles de l’ananas servent quant à elles à décorer certains cocktails.

Mais rémunérer deux employés, deux fois par semaine, pour presser des jus et préparer des sirops, ça coûte de l’argent, non ? Oui et non, répond Mickey, celui qui est à l’origine du virage vert au Mal nécessaire. « On vient justement de recevoir notre rapport annuel et on constate que nos dépenses ont diminué. »

« Ce virage nous a permis de couper beaucoup nos coûts pour les jus. On ne le réalise pas, mais une bouteille de jus frais d’ananas, ça coûte la même chose qu’une bouteille de rhum bas de gamme. »

En plus de travailler parfois de jour, un autre aspect du boulot des employés a changé avec le tournant écolo. Ils doivent désormais trier les matières avant de les mettre à la poubelle, au recyclage et au compost, et ce, même quand le bar est archi bondé.

« Pour quelqu’un qui n’a jamais fait ça, ça peut avoir l’air simple. Mais quand on est dans le jus, trier au lieu de tout mettre à la poubelle, c’est un gros changement et ça peut être exigeant », explique Mickey.

Mais les efforts portent leurs fruits. Au lieu de mettre un bac par jour à la rue, le Mal nécessaire remplit désormais la moitié d’une poubelle par semaine.

Le combat contre le suremballage

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Au lieu d’utiliser du blanc d’œuf, Lori Chiaradia, du bar le Royal, emploie de l’eau de pois chiches appelée aquafaba pour faire mousser un cocktail. Les légumineuses, elles, sont envoyées au restaurant le Rouge Gorge, qui appartient aux mêmes propriétaires.

Lori Chiaradia travaille aussi dans l’industrie des bars montréalais depuis quatre ans.

« Il y a trois ans, tout le monde s’en foutait des déchets dans les bars. Ce n’était même pas une question. Mais ça a beaucoup changé. Maintenant, les gens sont beaucoup plus allumés sur la question des déchets », remarque-t-elle.

Au Royal, où elle travaille, les bartenders pressent des jus de lime et de citron frais, quotidiennement. Avec les pelures, ils concoctent un cordial utilisé pour les gimlets et les margaritas. Ils préparent aussi un sirop d’orgeat avec des amandes broyées. La pulpe des noix restante est transformée en craquelins. Celui-ci est servi avec le Meiji le Grand, un cocktail à base de saké non filtré, de rhum agricole et de curaçao.

Derrière leur bar, Lori et ses collègues font de petits gestes pour l’environnement, mais la jeune femme admet qu’il reste encore un bon bout de chemin à faire.

« Ce qui serait vraiment le fun, ce serait de pouvoir faire davantage d’achats en vrac. On a remplacé les pics en plastique par des pics en bambou, mais quand même, ceux-ci arrivent dans des paquets en plastique suremballés. »

La question des factures la préoccupe aussi. Lors d’une soirée achalandée, elle peut imprimer jusqu’à 500 factures. Seuls les clients qui règlent avec PayPass reçoivent leur reçu sur leur téléphone intelligent.

Pour Lori, ce sont beaucoup trop de petits bouts de papier qui se retrouveront à la poubelle.

Trois autres initiatives

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Les craquelins d’amandes sont servis sur un cocktail appelé Meiji le Grand. Celui-ci contient du saké non filtré, du rhum agricole et du curaçao.

• Avocats

Le Mal nécessaire a commencé à récupérer les noyaux d’avocat du Capital Tacos, le restaurant voisin, pour les transformer en sirop de falernum. Ce liquide est habituellement fait d’amandes, de cannelle, de gingembre, de piments de la Jamaïque et d’anis étoilé. Il est utilisé dans le Three Dots and a Dash, un vieux cocktail tiki.

• Soda de retailles

Derrière le bar du restaurant le Flamant, Maximilien Jean a la chance de travailler avec le chef et la pâtissière de l’établissement. Le chef de bar reçoit toutes les fanes de légumes verts de la cuisine et il les transforme en « soda de retailles ». Le goût végétal de la boisson pétillante aide à équilibrer les liqueurs plus sucrées, explique celui qui est aussi propriétaire du Flamant. « C’est tout niaiseux à faire, les coûts sont nuls et ça donne beaucoup de profondeur aux cocktails. »

• Aquafaba

Au lieu d’utiliser du blanc d’œuf pour faire mousser certains cocktails, les bartenders du Royal utilisent souvent l’aquafaba, l’eau contenue dans les boîtes de conserve des pois chiches. Ils gardent l’eau de trempage pour eux et envoient les légumineuses au restaurant Rouge Gorge, qui appartient aux mêmes propriétaires.