Dans les chais des prestigieux châteaux bordelais, des professionnels du monde entier ont dégusté cette semaine, depuis lundi, le millésime 2008 pour de futurs achats en primeur. Dégustation sous le signe de la prudence toutefois, car, même si le «vin est bon», la question du juste prix est dans tous les esprits.

«Le vin est bon, oui, mais ça dépend du prix auquel il va être facturé», commente John Avery, président du distributeur britannique Avery's et grand habitué des «primeurs», une spécificité bordelaise qui concerne d'abord les grands crus, mais donne aussi la tendance pour toute la filière.

Pendant cinq jours, la campagne annuelle des primeurs permet à 4500 importateurs, commerciaux et journalistes venus de 36 pays d'évaluer la qualité du millésime. Les châteaux annonceront dans les semaines qui viennent le prix auquel les opérateurs pourront acheter «en primeur» ces vins, près de deux ans avant leur mise sur le marché.

L'objectif traditionnel est de sécuriser l'achat des étiquettes les plus demandées à des prix a priori plus intéressants. Les dizaines de dégustations organisées partout dans le vignoble ont cette année un fort goût de prudence en raison de la crise économique qui a provoqué un coup de frein brutal de la demande pour les vins chers.

Officiellement, il n'est question que de la qualité du millésime 2008. Les professionnels accrédités l'évaluent, verre dans une main, carnet de dégustation dans l'autre. On évoque les faibles volumes offerts, de l'ordre de 20% inférieurs à 2007 en raison d'une météo capricieuse.

On flatte des « vins puissants, mais aussi très frais et très élégants », grâce à des vendanges ensoleillées, dixit un propriétaire médocain. On salue un millésime «inattendu», «avec des morceaux de 1996 ou de 2001» (des années réussies), selon un professionnel de Pauillac.

Officieusement, on pense aux prix que dévoileront les châteaux dans quelques semaines. Un prix que tous les visiteurs, qu'ils viennent de Grande-Bretagne, du Japon, des États-Unis ou de Norvège, réclament à la baisse après les sommets atteints depuis le très coté millésime 2005.

«Il faut que le prix soit à un niveau représentatif de la qualité. On a vu ces dernières années une hausse importante. Est-ce que la qualité a vraiment augmenté au même rythme?» s'interroge Clare Tooley, négociatrice pour la société de vente par correspondance britannique Direct Wines.

«2006 est difficile à vendre. 2007 est cher par rapport à la qualité. Nous espérons une grosse baisse», confirme Didier Mosca, un importateur suisse.

«Si c'est pas moins cher, je ne pourrai pas en prendre beaucoup», renchérit George Herron, de la société californienne Fine Wines of Stockton. Un message bien reçu par les professionnels bordelais.

«Personne ne s'attend à voir une hausse des prix, le contexte ne s'y prête pas», estime Hervé Berland, directeur commercial de Mouton Rothshild. « On va harmoniser la qualité du millésime avec les difficultés économiques du moment», confirme Patrick Maroteaux, propriétaire de Branaire Ducru, qui croit toutefois en la valeur des «marques».

Le risque, pour les producteurs, serait de «sacrifier» le 2007, à la qualité jugée classique, en faisant du 2008 un vin mieux coté et moins cher. Un parfum de possible «bonne affaire» qui explique peut-être pourquoi, malgré la crise, les visiteurs sont cette année presque aussi nombreux que l'an dernier.