Il était une fois - il y a de cela très, très longtemps - des pubs de bière qui étaient des oeuvres d'art. On imprimait les affiches de façon artisanale, avec des techniques d'un autre temps. Puis on les encadrait.

Les personnages n'étaient pas des «Serge» ou des pitounes sexy, mais des chasseurs, des pêcheurs, des joueurs de hockey, des soldats de la Nouvelle-France ou... des chevaux de trait.

C'étaient les années 20 et 30. Avant l'arrivée de la télé. Les brasseurs de cette époque avaient pour nom Molson, Boswell, Champlain, Frontenac ou Black Horse. Sauf pour Molson, ces compagnies mythiques ont disparu depuis belle lurette. Mais certaines de leurs affiches elles, ont survécu au passage du temps. Remercions le collectionneur Pierre Gagné d'en avoir reproduit une centaine dans son livre Affiches de tavernes du Québec, tout juste publié aux éditions du Collectophile.

Convoitises

Rares et recherchées, ces affiches font aujourd'hui l'objet de toutes les convoitises. Elles peuvent se vendre de 250$ à 1500$ selon l'état, le sujet et le procédé de confection.

Certaines ont été faites par des illustrateurs professionnels, ce qui leur donne un véritable cachet artistique. Mais les amateurs n'en connaissent pas toujours la réelle valeur. D'où l'idée d'un catalogue raisonné, semblable à celui que M. Gagné a publié en 2006, à l'intention des collectionneurs de bouteilles anciennes.

Le concept est simple: répertorier et reproduire un maximum de pubs. Établir leur valeur. Expliquer en quoi celle-ci vaut plus cher que celle-là. Renseigner sur l'histoire des différentes brasseurs. En d'autres mots: faciliter la quête du collectionneur.

«À l'heure actuelle, c'est beaucoup le sujet qui fait la valeur d'une affiche, explique M. Gagné. Des gens sont prêts à payer une fortune pour une affiche imprimée en offset, représentant une équipe de baseball ou de hockey. Mais ils passent parfois à côté d'une sérigraphie qui est presque une oeuvre d'art.»

M. Gagné croit que les affiches en sérigraphie sont appelées à prendre beaucoup de valeur. À cause de leur qualité et surtout à cause de leur rareté, la plupart ayant été faites à tirage limité. Moins uniques, les affiches imprimées en «offset» et en «chromolithographie» seraient théoriquement moins rares. Mais étant produites sur du papier, plusieurs sont redevenues poussière avec le temps.

Au Québec seulement

Combien d'affiches de ce type seraient encore en circulation? M. Gagné hésite à se prononcer. Mais il est au moins sûr de deux choses. Primo, celles qu'on trouve sont à 95% en très mauvais état. Deuzio, ces pubs (bilingues ou uniquement en français) n'auraient été faites qu'au Québec, ce qui les rend encore plus distinctes et dignes d'intérêt. Ce détail peut sembler étrange, considérant que la province vivait alors sous le sceau de la tempérance. Mais peut-être ne faut-il y voir qu'un paradoxe québécois de plus.

Quoi qu'il en soit, ces oeuvres d'art ont bel et bien disparu avec les années 50. Avec l'arrivée de la télévision et l'entrée en scène de la compagnie Labatt, le houblon s'est affiché autrement.

«Les pubs sont devenues plus carrées. Les sujets à caractère historique ont diminué. On s'est mis à montrer des objets plus récents. L'imprimerie offset a complètement remplacé la sérigraphie. Tout est devenu plus industriel, plus commercial, plus automatisé», se désole M. Gagné.

La modernité. Pour le meilleur et pour le pire.