Les milieux de la restauration et de l’agriculture gourmande sont remplis d’histoires, de réflexions, de solutions. Nous donnons la parole à ceux et celles qui font la richesse et la diversité des métiers de bouche du Québec.

Pendant 23 ans, Boris Bistro a régalé ses clients avec son menu d’inspiration européenne et sa jolie terrasse verdoyante au cœur du Vieux-Montréal. La fermeture de l’endroit, connu puisqu’il était le seul restaurant au Québec certifié sans gluten par Cœliaque Québec, en a attristé plus d’un. Son fondateur, Jean-Marc Lebeau, s’est confié à La Presse sur son parcours, l’aventure du Boris et ce qu’il souhaite pour la suite.

Premier service

« Je suis né à Montréal. J’étais bum quand j’étais adolescent… jusqu’à ce que je commence à faire de la danse, autour de 15 ans. J’avais vu un truc à la télévision, et je voulais faire quelque chose de physique, qui demandait de la discipline… comme je n’en avais aucune. Ma morphologie me prédisposait à ça. Ça m’a changé de milieu, et je suis tombé à fond là-dedans. »

PHOTO FOURNIE PAR JEAN-MARC LEBEAU

Jean-Marc Lebeau sur scène, dans les années 1980

« J’ai fait ça pendant 12 ans, avec Le Ballet de Montréal [de Eddy Toussaint] une compagnie où on faisait du ballet contemporain, mais la formation était vraiment classique. J’ai dansé avec la mère de Céline Cassone et Louis Robitaille [respectivement ex-danseuse étoile et ex-directeur artistique et général des Ballets jazz de Montréal], Anik Bissonnette… J’ai fait beaucoup de tournées, en Europe, en Amérique du Sud. Ça m’a ouvert sur le monde.

« Puis, arrivé à 28 ans, j’avais pas mal de blessures. J’ai dû arrêter. Je ne voyais pas trop ce que je pouvais faire après ; devenir chorégraphe, professeur ? J’ai décidé d’aller faire l’université en gestion. »

Mon but était de me rendre au deuxième cycle, en gestion des organismes culturels, mais après quatre ans d’université, à 32 ans, j’étais tanné d’être pauvre. J’ai décidé de garder mon emploi que j’avais l’été, au Jardin Nelson, dans le Vieux-Montréal, où j’étais maître d’hôtel.

Jean-Marc Lebeau

« Ensuite, on m’a offert le poste de directeur au Jardin Nelson. J’ai passé 10 ans là-bas. Je les ai aidés à développer leurs recettes ; par exemple, une crêpe au fromage de chèvre et lardons pour changer du jambon-fromage. J’ai été le premier restaurateur à faire entrer les cidres Jodoin et les bières Unibroue.

« Puis, j’ai ouvert pour Unibroue, à Chambly, le Fourquet Fourchette. C’était un centre d’interprétation de la bière. On ne servait que des produits québécois à 100 %, c’était il y a 25 ans ! On faisait des banniques avec des canneberges séchées. À l’époque, il n’y en avait pas dans les magasins, il n’y avait qu’un producteur en Montérégie. »

Deuxième service

« J’avais envie d’être mon propre patron. Je suis tombé un jour sur ce local rue McGill qui avait une grande terrasse. À l’époque, il n’y avait rien sur cette rue. Le quartier était à l’abandon à cause de l’autoroute qui n’était pas recouverte ; quand tu arrivais au square Victoria, tu voyais en bas ! Tout le centre financier était monté autour de la Place Ville Marie. Psychologiquement, ça faisait une coupure.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU BORIS BISTRO

La terrasse du Boris Bistro

« Ça m’a pris un an pour faire modifier le zonage par la Ville. J’ai misé sur la terrasse, en me disant que la grosse saison serait l’été. J’ai ouvert Boris Bistro en 1999, en août… Puis l’hiver est arrivé. Il n’y avait personne dans les rues le soir, c’était mort ! J’étais seul à l’époque avec un chef en cuisine, je faisais les déjeuners, les midis, les soirs. Pendant longtemps, j’ai été le seul. Le Holder a ouvert en 2004. »

Les produits québécois étaient à la mode, mais je voulais proposer autre chose, une inspiration plus européenne. Je ne suis pas chef, mais j’avais une vision très précise du menu que je voulais dans mon restaurant.

Jean-Marc Lebeau

« Comme j’avais beaucoup voyagé en Europe, je connaissais plusieurs plats qui n’étaient pas encore connus ici. Sur mon menu d’ouverture, il y avait une caponata sur chèvre, des cuisses de canard sur lentilles vertes avec lardons… »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jean-Marc Lebeau

« D’année en année, ça allait de mieux en mieux. Un jour, des gens de Sabena, une ancienne compagnie aérienne de Belgique, sont venus au Boris et ils ont trippé sur le restaurant. Ils l’ont inclus dans un petit film qui présentait la ville de Montréal aux gens dans l’avion. On a commencé à avoir beaucoup de clients européens. En 2002, ça a commencé à bien rouler. En 2004, c’était la folie ! »

Troisième service

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jean-Marc Lebeau

« Au début, il y avait du gluten au menu. Un jour, Benjamin Gil, qui a été mon bras droit, mon directeur pendant toutes ces années, a appris que son fils était cœliaque. Il m’a fait remarquer que j’avais plein de symptômes. J’ai fait des tests et il avait raison !

« Je voyageais un peu partout dans le monde pour faire des salons de vins. Je réalisais qu’il n’y avait jamais rien à manger pour les cœliaques, que c’était vraiment cher et compliqué. J’ai décidé de prendre le virage sans gluten. On a eu notre certification en 2016. »

PHOTO FOURNIE PAR JEAN-MARC LEBEAU

Un plat de ceviche de loup de mer, pomme, aji amarillo, mangue, poivrons, oignons, coriandre, au Boris Bistro

« Le but était que la clientèle ne s’en rende pas compte. On a dû faire des ajustements, des tests pour trouver de bonnes pâtes sans gluten, puis il suffit d’utiliser des épices, des bouillons certifiés sans gluten. J’ai beaucoup voyagé, notamment au Brésil, au Pérou, je suis allé chercher plein d’influences, comme des tiraditos ou ma poutine avec du fromage brésilien crémeux et une sauce à l’aji amarillo. J’essayais de me démarquer. »

La pandémie, le manque de main-d’œuvre… Tout ça est devenu extrêmement difficile. L’été dernier, je faisais le busboy, le maître d’hôtel… J’ai eu 65 ans et je commençais à être fatigué.

Jean-Marc Lebeau

« J’ai eu une offre de A5 pour l’acheter et j’avais le goût de faire autre chose. J’ai fermé le Boris après 23 ans, en août dernier.

« On était le seul resto certifié sans gluten. C’est sûr que beaucoup de gens étaient déçus quand j’ai décidé de fermer. Ce que je rêverais de faire, c’est proposer mes services de consultant à des restaurants, les aider à adapter leurs plats, leurs cuisines. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le Terravignata, un vin rouge bio italien importé par Boris Bouchons, nouvellement offert à la SAQ

« Je suis maintenant à la retraite, mais j’ai encore des projets. Je continue d’importer du vin bio avec mon agence Boris Bouchons ; mes deux premiers vins viennent d’entrer en SAQ. Je retourne aussi un peu à mes premières amours ; je vais commencer une formation avec Céline Cassone pour enseigner le Munz Floor [une approche corporelle inventée par un ancien danseur de l’Opéra de Paris]. Je vais pouvoir l’enseigner ici et au Brésil, un pays avec lequel je suis tombé amoureux et où je vais chaque hiver. »

Consultez le site de Boris Bouchons

La version originale de ce texte a été modifiée afin de préciser le nom de la compagnie pour laquelle M. Lebeau a dansé : Le Ballet de Montréal de Eddy Toussaint.