Les milieux de la restauration et de l’agriculture gourmande sont remplis d’histoires, de réflexions, de solutions. Une fois par mois, nous donnons la parole à ceux et celles qui font la richesse et la diversité des métiers de bouche du Québec.

(Québec) À la tête de Chez Boulay — bistro boréal depuis son ouverture, le 1er mai 2012, le chef Arnaud Marchand s’applique à y mettre en valeur notre terroir boréal. Ambassadeur pour Aliments du Québec au menu, le Français d’origine s’est donné comme mission de démocratiser les produits de notre territoire tout en repensant de façon saine le modèle de la restauration.

Premier service

« Je viens du centre de la France, un petit village de 400 habitants nommé Chalmazel. J’ai grandi dans un milieu autant agricole qu’ouvrier. On avait notre jardin, nos poules, nos lapins. Mon père chassait, il faisait ses propres charcuteries. On faisait nos terrines, nos haricots, on cueillait, on équeutait ! J’ai été élevé dans cet amour de la nourriture où il y avait aussi ce souci d’économie. »

« J’aimais cuisiner avec ma mère, mais jusqu’à 14-15 ans, je n’avais pas de vision d’aller dans la cuisine. Puis, je suis allé suivre une formation de quatre ans, mais j’ai fait des stages que je n’ai pas vraiment aimés. Je n’ai pas eu d’accroche, jusqu’à mon tout dernier stage. C’était un hôtel logis de France, un deux étoiles où tout était fait maison. Ç’a été le coup de fouet ! Mon premier feu sacré, le premier frisson aux fourneaux. »

Je suis resté ensuite travailler durant l’été. J’étais au garde-manger. Un jour, je m’en souviendrai toute ma vie, le chef m’a fait venir au chaud avec lui un midi. La salle était pleine, on dresse, on dresse, je savais exactement ce que j’avais à faire, j’ai adoré. C’est ce que ça prend en cuisine : quelqu’un qui nous donne cette envie-là. Ce chef a changé le cours de ma vie, au final.

Arnaud Marchand, chef copropriétaire de Chez Boulay — bistro boréal

« Ensuite, j’ai travaillé un hiver aux Airelles, à Courchevel, dans les Alpes, un hôtel luxueux aux standards très élevés où on servait une cuisine très traditionnelle de type Bocuse. Toute la maîtrise derrière un fond, un jus… J’ai beaucoup appris. J’ai travaillé avec les meilleurs produits au monde, tout en apprenant les bases. J’y finalement ai fait sept saisons et j’ai fini sous-chef avec 30 cuisiniers sous mes ordres.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Français d’origine, Arnaud Marchand a été formé dans d’excellentes tables de son pays.

« Dans ce type d’établissement, le rapport n’était pas nécessairement avec le produit local, mais avec les beaux produits, les produits d’exception. On travaillait avec le saumon fumé de Russie, le plus prisé et cher au monde, on recevait des produits de la Méditerranée directement des pêcheurs qui faisaient cinq heures de route pour nous les apporter, les crevettes bougeaient encore !

« Aux Airelles, j’ai rencontré mon épouse Sophie, une Québécoise. J’ai fait ma demande de permis vacances-travail et je suis venu au Québec, j’ai travaillé à L’Initiale avec Yvan Lebrun. Puis, on s’est mariés, et on est repartis en France pendant trois ans. J’ai eu de belles propositions, de super belles occasions de travail dans des étoilés Michelin. J’avais deux options : écrire un CV d’exception avec une vie consacrée au travail, travail, travail, ou alors venir m’installer au Québec, où je voyais plus de latitude pour poursuivre dans le métier tout en ayant une vie de famille. »

Deuxième service

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Chez Boulay a récemment célébré ses 10 ans.

« Je suis arrivé au Château Bonne Entente avec Marie-Chantal Lepage. Je suis resté un an, puis juste à ce moment, la première saison de l’émission Les chefs ! commençait. Au début, je ne voulais pas embarquer là-dedans, mais j’ai fini par me laisser convaincre, et j’ai été sélectionné pour entrer dans la brigade. C’était une belle aventure humaine, j’ai adoré l’expérience, la mise en danger.

J’ai rencontré Jean-Luc Boulay à ce moment et quelque temps plus tard, il m’a proposé de me joindre à lui pour ouvrir le bistro. J’ai refusé trois fois ! Mais il n’a pas lâché. Je n’avais jamais voulu devenir patron, mais j’ai fini par me dire : pourquoi pas ? Et c’est comme ça qu’on a lancé Chez Boulay, il y a 10 ans, avec cette volonté de remercier cette province qui nous a accueillis tous les deux.

Arnaud Marchand, chef copropriétaire de Chez Boulay — bistro boréal

« Au départ, je n’avais jamais goûté une épice boréale ! Je partais de zéro. Le Boulay, à l’époque, c’était un véritable laboratoire de recherche et développement continu : les épices boréales de Fabien Girard, un précurseur avec qui on a commencé à collaborer, les vinaigres d’ici et le verjus pour travailler l’acidité autrement qu’avec les agrumes, le citron, comment remplacer l’huile d’olive par l’huile de tournesol, de caméline, de pépins de canneberge… On a essayé plein de choses.

« Il y a eu des découvertes exceptionnelles, comme l’huile de canola grillée de la Coop du Cap, en Gaspésie, des liens qu’on a tissés comme celui avec Léandre [Saindon], qui venait de commencer sa culture d’argousier à Saint-Ferréol, à une époque où ce petit fruit n’était pas encore connu. On a découvert des produits comme l’asclépiade, le cœur de quenouille, les boutons de marguerite avec Gourmet Sauvage et Ariane [Paré-Le Gal] qui ont beaucoup vulgarisé cet aspect-là.

« Tout ça dans une cuisine qui me ressemble, avec mes fonds, mes sauces, toutes les techniques apprises lors de mes années en France. L’équilibre des plats, les saveurs, les textures, c’est ça qui m’intéresse. On est un bistro dans le Vieux-Québec, on devait s’adapter à notre clientèle. »

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Arnaud Marchand dans son restaurant situé au 1110, rue Saint-Jean, à Québec

Pour moi, un restaurant, c’est un lieu d’éducation. Donc ce qu’on devait trouver, c’est comment vulgariser le boréal, amener les gens à s’intéresser à ce qui pousse ici, mais intégré à quelque chose qu’il reconnaît, par exemple une blanquette de veau avec du myrique baumier. Comme j’aime dire : une cuisine rassurante qui te donne une gifle boréale.

Arnaud Marchand, chef copropriétaire de Chez Boulay — bistro boréal

« Se dire boréal, c’est utiliser des produits qui poussent au Canada. Ça ne veut pas dire que tout le temps, je vais avoir des produits du Québec. On a commencé à 60 % de produits locaux, puis on a évolué à 70 %, 80 %, 90 %. On en voit, des restaurants 100 % local, au Québec, et tant mieux. Nous ne sommes pas encore rendus là, il y a certains défis avec le volume qu’on fait ; mais grâce à ce volume, nous sommes un soutien important pour les producteurs locaux. »

Troisième service

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Repenser la façon de voir la restauration est aussi un cheval de bataille du chef.

« J’ai un lien très particulier avec Jean-Luc. En 10 ans, on ne s’est jamais accrochés. On aime se taquiner et se challenger. Dès le départ, on a connu un succès qui ne s’est pas démenti. À un moment, j’ai trouvé que c’était trop et on a réduit la capacité du restaurant de 20 % à 30 %. Pour reprendre le goût du plaisir de cuisiner, pour passer du temps avec les clients, pour ralentir les services. Aller coûte que coûte vers la croissance, je suis loin de ça. Moi, je veux gérer une décroissance, et je trouve que ça peut être très brillant, que ça a du très bon.

« Avec le temps, le chef de soir, Guillaume Caron, qui a commencé commis ici il y a 10 ans, le chef de jour, Olivier Langlois, qui est ici depuis cinq ans, et Patrice Auclair, directeur de la restauration, sont devenus des associés. Pour moi, c’était essentiel dans l’évolution d’un restaurant que les gens qui s’y sont inscrits, qui se sont donnés, aient cette récompense-là.

« On a ouvert Les Botanistes juste avant la pandémie, puis le Comptoir Boréal, un laboratoire où les gens peuvent déguster nos pâtisseries. La pandémie nous a apporté énormément de choses. On est repartis de zéro, on a refait tous les fondements. C’était l’occasion de se questionner : qu’est-ce qu’on veut pour la suite des choses ?

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Démocratiser le local et le boréal : le cœur de la mission de Chez Boulay.

« On a trouvé des façons de mettre les producteurs de l’avant, on a mieux structuré les choses pour nos employés, avec des horaires de 40 heures et 4 jours/semaine pour tout le monde. Je travaille beaucoup sur la revalorisation du métier de cuisinier, de restaurateur. C’est très important et ça passe par nous d’abord, de donner une qualité de travail, dans un milieu sain.

« On a créé une plateforme, Pour la famille, avec du beau contenu, des histoires de producteurs, de clients, d’employés, des choses qu’on veut partager. On a vu, avec la pandémie, une solidarité extraordinaire des gens qui voulaient encourager les producteurs. On essaie de valoriser ces liens entre clients, employés et producteurs.

« Avec cette guerre qui a lieu, on voit que l’autonomie alimentaire, et des pays en général, prend un nouveau sens. Est-ce qu’on est obligés de manger autant de produits qui viennent d’autres pays, avec les transports maritimes qui coûtent une fortune ? Il y a aussi la question de l’accessibilité aux produits maritimes du Québec, un enjeu qui est primordial. De briser ce système installé et encroûté là et qui n’a plus lieu d’être. C’est tout un partage d’une richesse de terroir d’une région qu’on perd. »

Consultez le site de Chez Boulay Consultez la plateforme Pour la famille