Pâques, c’est la fête de la résurrection, du renouveau de la nature. Qu’on soit religieux ou pas, depuis toujours. Dans ce coin-ci de l’Amérique, les traditions pascales se mêlent aussi à celles des sucres depuis des siècles. Pâques est donc une occasion en or de célébrer le grand retour des cabanes à sucre après un très long hiver pandémique.

Érablière du village : enfin heureux d’un printemps…

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Stéphanie Sauvé et Maximilien Leblanc-Bolâtre, propriétaires de l’Érablière du village

Comme pour beaucoup de cabanes à sucre, la saison 2022 marque un nouveau départ pour l’Érablière du village, à Compton, dans les Cantons-de-l’Est. Rencontre avec ses propriétaires, qui se sont lancés en affaires quelques mois à peine avant l’arrivée d’un certain coronavirus.

Après deux printemps pas comme les autres, les nouveaux propriétaires de l’Érablière du village se réjouissent de pouvoir enfin faire les sucres dans leur salle à manger. « Le téléphone sonne sans arrêt », raconte Maximilien Leblanc-Bolâtre, qui est devenu copropriétaire de la cabane avec sa conjointe, Stéphanie Sauvé, en octobre 2019.

Au printemps 2020, on avait juste eu le temps de faire quelques services avant que tout ferme.

Maximilien Leblanc-Bolâtre, copropriétaire de l’Érablière du village

« Mettons qu’on a eu le temps de travailler nos recettes depuis », ajoute Stéphanie, qui a 29 ans.

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Le bois, Maximilien, qui a déjà été travailleur forestier, connaît.

La pandémie n’a pas été le seul souci du couple en 2020. « J’ai eu un accident en coupant un arbre en avril cette année-là, explique Maximilien, 35 ans. Le docteur n’était pas sûr que je serais encore capable de marcher un jour ! » Privé de son revenu principal, celui qui était aussi travailleur forestier a dû se retrousser les manches.

« On a monté une cantine pour l’été avec des plats pour emporter », dit-il, bien solide sur ses deux jambes. Crêpes jambon-fromage, ou à la crème glacée (puis frites), pogos et poutines, tous préparés avec des ingrédients des producteurs du coin. Les propriétaires ont aussi mis sur pied une boutique, où sont entre autres vendus beurres d’érable, moutardes, ketchups, biscuits et noix préparés avec leur sirop, qui se retrouve aussi bien en évidence sur le comptoir.

La boutique est encore ouverte cette année et la cantine sera de retour à l’été. « Ça fait deux ans qu’on ne se paie pas de salaires, mais cette année, ça pourrait changer », avance Maximilien.

De la Côte-Nord aux Cantons-de-l’Est

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La boutique a été lancée durant la pandémie.

Le couple, qui s’est rencontré au Cégep de Baie-Comeau il y a bientôt 10 ans, s’est retrouvé aux commandes d’une érablière à Compton un peu par hasard. « Moi, je viens de la Côte-Nord, on n’a pas ça là-bas, des érables », rigole Maximilien, qui se passionne pourtant pour le sirop dont il surveille aujourd’hui attentivement la production. « J’aime bien le sirop clair-ambré, pour moi, c’est l’idéal. Tant qu’à faire du sirop et à l’utiliser en cuisine, aussi bien que ça goûte l’érable. »

Après un déménagement en Estrie pour se rapprocher de sa famille, Stéphanie a suivi une formation en acériculture, puis elle a été appelée à améliorer le système de tubulures de l’Érablière du village. « C’était fait un peu tout croche », raconte-t-elle au milieu de ses quelque 1800 érables à sucre, par une journée de printemps timide. « On voit que ça commence à dégeler », ajoute-t-elle en montrant la pompe qui envoie la sève dans l’immense réservoir connecté à l’évaporateur.

Stéphanie et Maximilien tissent vite des liens avec les propriétaires d’alors, la famille Rouillard, qui leur donnera même un coup de main pour reprendre l’entreprise. « C’est un monsieur Groleau qui avait tout aménagé pendant des années, dit Maximilien. La terre de 20 acres est vraiment bien située. »

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La production de sirop s’annonce meilleure que celle de l’an dernier, estiment les propriétaires.

La pandémie a failli tout gâcher, donc, mais les nouveaux propriétaires ont tenu bon. « Pour la production de sirop, la saison s’annonce meilleure que celle de l’an dernier, tant mieux ! », conclut Maximilien.

On est vraiment contents d’être dans le coin, il y a beaucoup de bons producteurs ici et on travaille beaucoup avec eux.

Maximilien Leblanc-Bolâtre, copropriétaire de l’Érablière du village

En salle, les clients ne se font pas prier et l’Érablière du village affiche complet ces jours-ci. Mais la saison des sucres se poursuivra au moins jusqu’en mai. Et pour goûter à la soupe aux pois, aux saucisses et au bacon dans le sirop, aux galettes de patates râpées ou au jambon à l’érable et au cidre du verger Ferland, entre autres mets… il n’est pas trop tard pour commander un repas à emporter, à récupérer sur place ou en passant par le site Ma cabane à la maison. La livraison se fait jusqu’à Bromont.

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Maximilien aux fourneaux. La pause forcée imposée par la pandémie aura donné le temps au couple de travailler ses recettes, comme le dit Stéphanie.

Maximilien et Stéphanie ont aussi accepté de dévoiler leur recette de jambon (voir onglet suivant). C’est Pâques, après tout !

Ruée vers les cabanes

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Établie sur un terrain de 20 acres, l’érablière compte 1800 érables à sucre.

Les Québécois avaient hâte de retrouver leurs cabanes à sucre cette année. « C’est incroyable, ça n’a aucun sens. Ça commence à 9 h 30 le matin, puis ça finit à 21 h, sans pause », s’étonne Stéphanie Laurin, copropriétaire du Chalet des érables, à Sainte-Anne-des-Plaines, dans les Laurentides. Beaucoup de cabanes affichent déjà complet pour la saison, ajoute celle qui est aussi présidente de l’Association des cabanes à sucre du Québec. Les clients qui ne trouvent pas de places en salle peuvent se tourner vers les boîtes-repas, notamment par le site Ma cabane à la maison. « Comparé à l’an passé, peut-être que je vais atteindre 50 % de mes ventes à emporter », observe Mme Laurin. À la ferme Aux vieux chênes, à Laval, des boîtes-repas moins populaires que prévu ont convaincu le propriétaire Daniel Marchand d’ouvrir sa salle à manger au début du mois d’avril, pour une demi-saison en présentiel. « On n’a pas assez de main-d’œuvre pour entailler nos érables cette année, et si on peut finalement servir des repas, c’est grâce à des amis qui nous donneront un coup de main », dit-il. Du côté de la récolte, le petit coup de froid de la fin de mars a été bénéfique, selon Pierre Gingras, de La Grillade à Saint-Alphonse-de-Granby. « Si ça continue comme ça, ça va être une bonne année », prédit-il. Bien sûr, les conditions varient d’une région à l’autre. L’an dernier, la chaleur de la fin de mars avait mis fin prématurément à la récolte, qui avait été très mauvaise, dans le sud du Québec.

Consultez le site de l’Érablière du village Consultez le site Ma cabane à la maison

Qu’est-ce qu’on mange ?

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Côtes levées à l’érable, oreilles de crisse, bacon cuit dans le sirop, cornichons lactofermentés et nombre d’autres délices des sucres sont au menu.

Que vous passiez à la cabane, commandiez un repas à emporter ou cuisiniez à la maison, voici une petite idée d’à quoi pourrait ressembler votre repas des sucres pour Pâques (ou pour une autre occasion), ce printemps.

Les propriétaires de l’Érablière du village, Stéphanie Sauvé et Maximilien Leblanc-Bolâtre, ont fait une petite sélection des mets qu’ils servent pour le souper ou pour le brunch, histoire de vous inspirer.

Au menu : beaucoup de produits locaux, dont les viandes de la boucherie Blouin, les cidres du verger Ferland de Compton et les marinades de Bucket fermentation, de Sainte-Edwidge-de-Clifton.

Sur la table, on trouve donc des côtes levées à l’érable, des oreilles de crisse et du bacon cuit dans le sirop, des cornichons lactofermentés, une soupe aux pois bien charnue, des galettes de patates à l’ancienne (avec une touche de bacon), la pâtée des bois (bines aux merguez), une omelette soufflée, des saucisses dans le sirop, une salade de chou fumée au bacon et le fameux jambon à l’érable et au cidre du verger Ferland, dont vous trouverez contre la recette pour de 8 à 10 personnes.

Du côté du dessert, si vous avez encore faim, il y a bien sûr les crêpes, les beignes à l’érable et la tarte au sirop.

D’autres plats encore sont offerts en formule buffet à la cabane. La boîte-repas contient pour sa part le jambon, la pâtée des bois, la soupe aux pois, une préparation pour une omelette soufflée, les galettes de patate, les oreilles de crisse, la tarte, les beignes, une portion de tire et une boîte de sirop ambré.

Tire sur neige maison

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La tire d’érable, incontournable du temps des sucres

Une partie de sucre n’en est pas vraiment une sans tire ! Si vous en avez sous la main, réchauffez-la au four micro-ondes pendant une quinzaine de secondes pour la liquéfier avant de la verser sur de la neige ou de la glace concassée. Sinon, faites bouillir du sirop jusqu’à ce qu’il atteigne 114 °C (238 °F) pour le transformer en tire. « Pour éviter les dégâts, il suffit d’étendre du beurre sur le pourtour du chaudron, conseille Maximilien Leblanc-Bolâtre. Le gras empêchera le sirop de déborder. »

Jambon à l’érable et au cidre du verger Ferland

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Jambon à l’érable et au cidre du verger Ferland

Pour 8-10 personnes

Ingrédients

  • 1 jambon picnic avec l’os d’environ 3 kg — 3,5 kg (6,5 lb – 7,5 lb)
  • 250 ml (1 tasse) de sirop d’érable foncé
  • 250 ml (1 tasse) de cidre aux poires 10 % du verger Ferland (ou un autre cidre fort)
  • 250 ml (1 tasse) de bouillon de poulet

Préparation

  • 1. Préchauffer le four à 180 °C (350 °F).
  • 2. Mettre le jambon avec les liquides dans un chaudron qui va au four. Couvrir avant d’enfourner.
  • 3. Laisser cuire le jambon jusqu’à ce que la température interne atteigne 71 °C (ou 160 °F), soit environ 3 heures ou jusqu’à ce que la viande se détache facilement de l’os.
  • 4. Retirer le couvercle et laisser cuire le jambon encore 30 minutes tout en l’arrosant toutes les 5 minutes avec le bouillon.
  • 5. Vous pouvez ensuite retirer le jambon du chaudron, pour réduire le bouillon jusqu’à épaisseur désirée. Plus le liquide sera chauffé, plus il sera sucré et dense.
  • 6. Au moment de servir, le jambon devrait se défaire facilement, presque s’effilocher. Il est possible de le servir en tranches minces ou bien en morceaux, accompagné de son bouillon (réduit ou pas).

Dans un sandwich avec de la mayonnaise, le lendemain, c’est sublime !

Pâques, le jambon et les sucres

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Le mariage jambon et sirop d’érable, une inspiration provenant des autochtones

Le jambon de Pâques a une longue histoire. « On a hérité de traditions beaucoup plus lointaines qu’on pense », lance au téléphone l’historien culinaire Michel Lambert.

Les origines de la fête de Pâques, déjà, sont plus anciennes que la religion catholique, qui en a fait le moment le plus important de son calendrier liturgique. Elle a des liens clairs avec la Pessa’h juive, mais aussi avec des cultes antiques associés à l’équinoxe du printemps, pour célébrer le réveil de la nature après l’hiver, rappelle M. Lambert.

Et le jambon est lié à ces rites depuis fort longtemps, dans les pays du nord de l’Europe en particulier. Mais commençons par le commencement…

La préparation du jambon salé et fumé remonte aux peuples celtes et germaniques, explique M. Lambert. Les Celtes ont d’abord découvert que la viande se conservait très longtemps dans les mines de sel.

Le jambon salé s’est propagé jusqu’à Rome. Néron adorait.

Michel Lambert, historien

Les Germains, eux, pratiquaient le fumage pour conserver les aliments. Les deux méthodes ont été combinées vers le IXsiècle, et le jambon fumé et salé s’est répandu partout en Europe… puis en Nouvelle-France dès le XVIIsiècle.

Comme dans les pays nordiques, Pâques survient au Québec vers la période du dégel, au moment où il devient nécessaire de fumer les viandes gelées pour éviter de les perdre. « Le jambon qu’on venait de fumer fournissait la viande nécessaire pour fêter la Pâque chrétienne », peut-on lire sur le blogue de Michel Lambert.

Le mariage entre jambon et sirop d’érable, un savoir-faire adopté des autochtones du sud du Québec, s’est fait tout naturellement. « On accompagnait le jambon très salé de sirop pour équilibrer les goûts », explique M. Lambert, qui précise que les Anglais faisaient un peu la même chose avec de la mélasse.

En plus, au Québec, il arrive enfin que Pâques ait lieu pile au moment où les érables coulent le plus. « Ces années-là, les réunions familiales de Pâques se faisaient à la cabane à sucre, pas le choix ! », note M. Lambert.

En passant, la tradition de l’eau de Pâques vient aussi des Premières Nations, rappelle l’historien. Pour les peuples iroquoïens, « les sources d’eau avaient un pouvoir guérisseur », écrit-il. Ces autochtones « se levaient tôt pour voir l’étoile du matin, Vénus, et ramasser la première eau printanière imbue d’un pouvoir mystérieux ».

« La fête de Pâques québécoise est riche de toutes les cultures de nos ancêtres », conclut Michel Lambert.

Consultez le blogue Le Québec cuisine

1701

C’est l’année où Agathe de Saint-Père, femme de Pierre Legardeur de Repentigny, décida de demander conseil à ses amis algonquins pour apprendre à faire du sucre d’érable, au moment où un blocus anglais empêchait la France d’importer le sucre des Antilles. Deux ans plus tard, 30 000 lb de sucre d’érable étaient produites sur l’île de Montréal.

Source : Le Québec cuisine