Il est révolu, le temps où TikTok était surtout connu pour les danseurs de hip-hop et les chanteurs amateurs. Depuis quelque temps, c’est toute une plateforme culinaire qui prend d’assaut le réseau social. Et des Québécois y tirent plutôt bien leur épingle du jeu. Survol du phénomène.

Laurent Dagenais n’était pas convaincu que sa recette de lapin à la moutarde intéresserait beaucoup de gens. Sa copine l’a persuadé de la mettre en ligne sur son compte TikTok, et grand bien lui en fit : la vidéo est devenue virale et a été vue par 11,7 millions d’internautes !

En seulement neuf mois sur la plateforme, Laurent Dagenais compte 1,1 million d’abonnés et plusieurs autres vidéos virales. Sa recette de tacos, par exemple, a récolté plus de 26 millions de vues. Il faut dire qu’il s’adresse aux internautes en anglais, donc il a conquis le marché des États-Unis.

« Ç’a été vraiment très rapide comme croissance », raconte le cuisinier, lui-même formé comme chef. Le matin où on le joint par téléphone, il vient tout juste de quitter son travail de gestion dans un groupe de restauration pour se consacrer pleinement à ses projets personnels, dont les vidéos qu’il tourne pour le réseau social.

Des histoires comme celle de Laurent Dagenais, il y en a à la pelle partout dans le monde, mais ici aussi, au Québec. Frédérike Lachance-Brulotte, auteure du blogue Folks & Forks, en fait partie. Il y a un an et demi à peine, elle a commencé à publier des vidéos de ses recettes sur TikTok, également à la suggestion de quelqu’un de son entourage.

« Au début, je me disais : voyons, TikTok, c’est juste du monde qui danse et qui fait des niaiseries… Je ne voyais vraiment pas ce que les recettes venaient faire là-dedans », lance-t-elle au téléphone, jointe à son domicile de Saint-Lambert-de-Lauzon, en Beauce, où elle vit avec sa conjointe et sa fille Mathilde. « Mais finalement, j’ai décidé de faire une vidéo, et ça a fonctionné », s’étonne-t-elle encore.

PHOTO FOURNIE PAR FOLKS & FORKS

Frédérike Lachance-Brulotte vit à Saint-Lambert-de-Lauzon, en Beauce, avec sa conjointe et sa fille Mathilde.

Aujourd’hui, elle a 160 000 abonnés sur la plateforme, alors qu’ils sont 50 000 à la suivre sur Instagram, où elle dévoile pourtant une facette plus personnelle de sa vie. Mais la différence, selon la blogueuse, c’est l’algorithme de TikTok, conçu pour que les vidéos soient vues par un nombre exponentiel de personnes.

Du moment où une vidéo devient virale, elle va se retrouver dans le “For You page” et être vue par beaucoup de gens. C’est vraiment plus facile d’avoir de la visibilité sur TikTok que sur Instagram.

Frédérike Lachance-Brulotte, auteure du blogue Folks & Forks

Cette différence se reflète même dans la façon dont elle choisit ses contrats. « Le prix pour une publication sur TikTok est beaucoup plus payant pour moi que sur Instagram », affirme-t-elle sans détour. De toute façon, les commanditaires aussi sont de plus en plus nombreux à choisir le premier au détriment du second.

L’influence de TikTok

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Le café Dalgona, une recette devenue virale sur TikTok

Mais TikTok, c’est davantage que des histoires de succès personnelles. Si l’on en parle autant, c’est parce que la majorité des tendances culinaires de la dernière année y sont nées. Certaines ont créé de véritables raz-de-marée. On n’a qu’à penser aux pancakes-céréales, au café Dalgona, ou encore aux tortillas impeccablement pliées en quatre.

Quant aux fameuses pâtes au fromage feta rôti, elles ont attiré l’attention de Bob le chef, qui a recréé la recette dans sa cuisine. Laurent Dagenais aussi a voulu les essayer, mais en leur donnant une twist un peu plus sophistiquée. « J’ai refait la recette et je l’ai modifiée de façon un peu plus “chef”. C’était sûrement meilleur que la version originale, mais moins simple aussi », estime-t-il.

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Les fameuses pâtes au fromage feta rôti vues sur TikTok

Car effectivement, ce ne sont pas tous des as de la cuisine, dûment formés comme tels, ou même ayant un blogue culinaire, qui prennent d’assaut les réseaux. On y trouve beaucoup de nourriture simple, réconfortante et facile à préparer.

PHOTO FOURNIE PAR FOLKS & FORKS

Les recettes réconfortantes du blogue Folks & Forks connaissent une grande popularité sur TikTok.

Ce sont d’ailleurs ce type de recettes qui fonctionnent le mieux du côté de Folks & Forks.

Les gens vont s’accrocher beaucoup plus à des blogueurs culinaires comme moi, justement parce qu’on est accessibles. Mes recettes sont assez faciles, et souvent faites avec des aliments que monsieur et madame Tout-le-Monde vont avoir.

Frédérike Lachance-Brulotte, auteure du blogue Folks & Forks

Ce constat n’étonne pas Eugénie Delhaye, présidente de l’agence marketing My Little Big Web. « C’est du contenu qui va être présenté à énormément de personnes, et la plupart des gens, ils ne cuisinent pas des choses gastronomiques. Donc c’est normal que ce soit de la nourriture réconfortante qui soit proposée et, effectivement, c’est quelque chose qu’on voit beaucoup sur les réseaux sociaux en général. »

Ce n’est peut-être pas un hasard non plus si cette popularité s’est embrasée presque en même temps que la pandémie, à un moment assez unique de nos vies, ajoute la spécialiste. « Les gens ont passé beaucoup plus de temps sur le web, que ce soit pour produire du contenu ou pour en consommer », dit-elle.

Hypnotisant et éphémère

L’autre particularité de TikTok, c’est que ça va vite. Très vite. La plupart des recettes sont présentées en une minute top chrono, alors ce n’est pas le temps de perdre de précieuses secondes en préparation.

Sur TikTok, ce sont des vidéos assez courtes quand même, donc forcément, on est un peu obligé d’aller droit au but.

Eugénie Delhaye, présidente de l’agence marketing My Little Big Web

C’est pourquoi on commence souvent par montrer le résultat fini, ou presque.

« On voit tout de suite c’est quoi au premier coup d’œil, confirme Frédérike de Folks & Forks au sujet de ses plats. On ne me voit pas en train de faire revenir des légumes. Moi, j’ai déjà tout préparé, et là je montre ma salade ou mon omelette immédiatement, sans montrer ce qu’il y avait avant. »

Tout ce contenu est éphémère, on l’aura compris, d’où l’empressement de TikTok à proposer toujours plus de vidéos pour remplacer celles que l’on vient de consommer. « Il y a un petit côté hypnotisant, je pense, qui fonctionne bien », souligne Eugénie Delhaye. Même en tant que spécialiste des réseaux sociaux, elle se fait parfois prendre au jeu. « Moi-même, quand j’utilise la plateforme, je regarde une vidéo, puis une autre, puis une autre… On ne s’en rend pas compte, mais on vient de passer 45 minutes à regarder des choses variées qui n’ont pas apporté grand-chose. C’est un peu comme du fast food, mais avec le contenu. »

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