(Compton) Alors qu’on valorise plus que jamais l’achat local et la consommation de la ferme à la table, notre journaliste a pris la route pour aller à la rencontre d’artisans et de travailleurs agricoles. Voici le deuxième portrait d’une série de cinq avec Carole Routhier, fondatrice de la fromagerie La Station, à Compton.

« Je suis une fille de la région. Du terroir, je pourrais dire ! », lance Carole Routhier.

Elle a grandi parmi neuf frères et sœurs à Coaticook, à 15 km de Compton, mais elle ne pensait jamais se retrouver dans une ferme. « Qui prend mari prend pays », dit la fondatrice de la fromagerie La Station.

Si Carole Routhier a uni sa destinée à Pierre Bolduc, producteur laitier du chemin Hatley de quatrième génération, ce n’est qu’à 42 ans que la mère de trois enfants s’est mise à faire des fromages de façon artisanale alors qu’elle avait étudié en naturopathie.

J’ai vu l’annonce d’une formation pas loin, à Cookshire. Même si j’étais dans l’agriculture, je n’avais jamais pensé à faire des fromages. Je suis allée là par curiosité et j’ai eu une révélation.

Carole Routhier

La formation était donnée par nul autre qu’André Fouillet, qui a aidé de nombreuses fromageries du Québec à démarrer. « De 1997 à 2004, je faisais du fromage chez moi. J’étais très attirée par les pâtes fermes. »

Pour faire vieillir les fromages, elle utilisait un vieux réfrigérateur qui n’était pas branché. Les deux tiroirs à légumes lui servaient de système de refroidissement avec des blocs de glace. Elle pouvait ainsi faire vieillir neuf fromages de trois kilos en rotation de trois à douze mois.

Au départ, son modèle était le gruyère. Mme Routhier et son mari sont même allés en Suisse visiter la ferme du Bourgoz de la famille Murith. À l’époque, Mme Routhier était aussi très impressionnée par la qualité du fromage québécois Victor et Berthold.

Pendant des années, Carole Routhier faisait tout elle-même : la production, l’affinage, la vente, la livraison, la comptabilité… Elle allait régulièrement à la fromagerie Hamel, au marché Jean-Talon, pour faire goûter ses fromages et raffiner ses recettes.

« Dès le départ, il y a eu une grande demande, relate-t-elle. Mais je voulais que cela reste artisanal. »

Il faut dire que son mari et elle tenaient à des principes. Ils étaient presque des dissidents parmi les producteurs laitiers de leur coin quand ils ont décidé d’amorcer un virage vers le biologique en 1995 pour obtenir la certification des années plus tard.

« Mon mari a toujours été près de la nature. Il était dans cette démarche sans le savoir. »

Pendant ce temps, leur fils aîné, Simon-Pierre Bolduc, a étudié l’agriculture biologique en Ontario, au campus Alfred annexé à l’Université de Guelph, le seul endroit où cela s’enseignait à l’époque. C’est aujourd’hui aussi le cas à l’Institut national d’agriculture biologique (INAB) du Cégep de Victoriaville.

Il croyait beaucoup en la fromagerie. Il s’est mis à épauler sa mère et à voir plus grand. Son frère cadet Vincent s’est aussi joint à eux après avoir étudié à l’INAB.

PHOTO JESSICA GARNEAU, ARCHIVES LA TRIBUNE

Vincent, Martin et Simon-Pierre avec leur père, Pierre Bolduc, en 2020 lors de la construction de la nouvelle étable

Il y a eu plusieurs étapes marquantes : la construction de la fromagerie en 2004, son agrandissement en 2008, la construction de nouvelles salles d’affinage et l’installation d’un robot d’affinage en 2019 et, récemment, la construction d’une nouvelle étable à stabulation libre pour les 100 vaches en lactation.

La famille Bolduc-Routhier exploite aussi une érablière dont les produits sont en vente à la boutique de La Station. Martin Bolduc, le fils du milieu, y consacre beaucoup de temps.

Mon fils et moi cannons le sirop. Ce sont tellement de beaux moments. Écoute, aimer ce qu’on fait, c’est aimer de petites choses.

Carole Routhier

Aujourd’hui, la fromagerie La Station est une affaire de famille et ses produits à pâte ferme sont prisés partout au Québec. Lauréat de plusieurs prix, le succulent Alfred Le Fermier rend hommage à l’arrière-grand-père de Pierre Bolduc, Alfred Bolduc, le premier de la famille qui s’est installé sur la terre du chemin Hatley en 1928 avec sa femme, Aglaé. Cela renvoie aussi au fait que le fromage est fermier.

PHOTO FOURNIE PAR LA STATION

En plus des fromages, il est possible de se procurer à la boutique les produits issus de l’érablière de la famille.

« Un fromage fermier est fait à partir du lait d’un seul troupeau », explique Carole Routhier. Un projet est par ailleurs en cours pour que le terme « fromage fermier » soit protégé au Québec.

PHOTO FOURNIE PAR LA STATION

Lauréat de plusieurs prix, Alfred Le Fermier est l'un des fromages phares de La Station.

Alfred Le Fermier, fait à partir de lait cru biologique de vache, se distingue par ses arômes de fruits, de caramel et de miel. « Il est moins animal que le gruyère », dit Carole Routhier.

La Station produit aussi Le Comtomme, le Chemin Hatley, deux autres fromages pouvant être servis en raclette, ainsi qu’un mélange pour fondue exquis.

Un engagement

PHOTO FOURNIE PAR LA STATION

Le café-boutique de La Station

Lors de notre visite à La Station, par un mardi matin pluvieux, les clients affluaient dans le café-boutique alors que d’autres dégustaient un grilled-cheese sur la terrasse. Quatre visites guidées étaient au programme pour la journée. Il est aussi possible de se procurer un panier pour pique-niquer dehors tout en admirant le troupeau de vaches qui broute dans les pâturages avec le mont Orford en arrière-plan.

PHOTO FOURNIE PAR LA STATION

La Station propose deux formats de visites guidées : la classique à partir de 15 $ par personne et la visite guidée avec pique-nique au coût de 35 $.

La fromagerie La Station est devenue une attraction touristique dans les Cantons-de-l’Est, mais surtout un fleuron du fromage québécois.

PHOTO FOURNIE PAR LA STATION

La famille Bolduc-Routhier possède un cheptel de 100 vaches.

Carole Routhier souligne à quel point le cheminement a été naturel et non décidé d’avance. « C’est comme si tout ce qu’on avait fait était conséquent au reste, dit-elle. Dans la vie, les actions que l’on pose nous mènent toujours un peu plus loin. »

Mme Routhier voit néanmoins une grande différence entre une passion qu’on fait pour le plaisir et une vocation.

L’agriculture, c’est une vocation, un engagement.

Carole Routhier

C’est prendre la terre, la cultiver, en vivre et la remettre à la génération future dans un état meilleur que celui dans lequel on l’a reçue.

PHOTO FOURNIE PAR CAROLE ROUTHIER

Carole Routhier et sa petite-fille

Aujourd’hui, Carole Routhier travaille moins qu’auparavant. Voir que La Station rallie sa famille la rend très fière. Elle souligne par ailleurs qu’elle a un sixième petit-enfant en chemin. Que représente le fait d’être grand-mère pour elle ? « Le boutte du boutte du bonheur ! »

Consultez le site de la fromagerie La Station