Dans mes années de vaches maigres, j’avais fait mienne cette phrase d’Alexandre (joué par Jean-Pierre Léaud) dans le film La maman et la putain de Jean Eustache : « Ne pas avoir d’argent n’est pas une raison suffisante pour mal manger. » Comme une preuve qu’avec un peu de panache, on peut défier à peu près toutes les situations. C’est vrai en cuisine comme dans la vie.

J’ai connu des gens pauvres comme la gale qui cuisinaient le poisson qu’ils venaient de pêcher pendant des heures, et ce fut certainement le meilleur poisson que j’ai jamais mangé.

Quand nous habitions dans nos premiers appartements, plutôt fauchées et encore avec des dettes d’études, et que nous voulions recevoir des gens à souper avec un petit budget, mon amie Élaine (encore elle) avait lancé cette expression pour nommer un plat qui ne coûte pas trop cher à faire, mais qui peut impressionner : « ça goûte cher ». Aussitôt adoptée pour décrire ces trucs de cuisine qui ajoutent un petit plus à des recettes modestes qui, autrement, auraient été un peu ordinaires.

Par exemple, ne jamais jeter les croûtes de parmesan qui fondent si bien dans une soupe ou un potage. Les potages, en général, sont l’une des entrées les plus faciles à faire avec les légumes isolés au bord de faner dans un frigo.

On peut aussi inventer une gremolata avec les zestes d’agrumes, d’herbes et d’ail qu’il reste pour rehausser n’importe quel ragoût ou plat de pâtes. Sortir des sentiers battus en utilisant des herbes autres que les éternels basilic, romarin et thym. Oser redécouvrir les abats, comme les foies de poulet ou les rognons, qui ont nourri bien des gens en période de guerre, avant de devenir des mets classiques de bistro. Affronter la laideur du céleri-rave pour en découvrir les qualités. S’arranger pour avoir sous la main les condiments pas chers achetés au quartier chinois pour toujours pouvoir improviser un sauté asiatique. Et que dire de la providentielle pomme de terre qui a évité des famines et peut se décliner de mille façons ?

C’est le manque de curiosité et d’initiation minimale à la cuisine qui peut parfois nous condamner à la fadeur.

Et il m’est souvent arrivé de vider mon portefeuille et de déployer de grands efforts pour un résultat moins satisfaisant qu’un plat joyeusement concocté dans la débrouillardise. 

Manger bon est une forme de résistance quand un plat est savouré comme une victoire contre le sort.

Bref, je vous propose trois recettes qui, si l’on doit se serrer la ceinture pendant une crise, ne vous empêcheront pas de devoir déboutonner le pantalon pour mieux digérer.