Le Québec gourmand s’est mis à l’heure du barbecue depuis quelques années en s’illustrant notamment dans quelques compétitions internationales relevées, mais aussi en s’imposant dans la cour arrière de bon nombre d’amateurs de bonne chère. Mais qui dit barbecue dit sauces et marinades, si bien que de nombreux fabricants québécois ont mis au point leurs propres recettes, que l’on trouve aujourd’hui par dizaines sur les tablettes des magasins, spécialisés ou non. Portrait d’une tendance.

« Les gens font de plus en plus de barbecue à la maison, c’est à la mode, et encore plus la cuisson lente par fumage », nous explique Jonathan Nguyen, chef propriétaire du Boucan Smokehouse, à Montréal. « Mais c’est relativement compliqué de faire une sauce, il y a beaucoup d’ingrédients, il faut savoir comment les mélanger pour avoir une idée de ce que ça va donner. C’est une recette. »

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Jonathan Nguyen, chef propriétaire du Boucan Smokehouse.

Les fabricants, qui ont dans certains cas mis au point leurs sauces à l’occasion de compétitions professionnelles, ont ainsi flairé la tendance et ont décidé de mettre leurs recettes secrètes en bouteille. « J’ai l’impression qu’il y a des équipes qui ont voulu copier ou améliorer les sauces qu’elles ont découvertes aux États-Unis », estime de son côté Johnny Leech, propriétaire de Smoking Shack BBQ, un traiteur de la région de Québec. « Et comme ça a marché, c’est ce qui a probablement déclenché l’engouement au Québec, entraînant les fabricants qui offraient trois sauces à en créer une quatrième, une cinquième et une sixième. »

Est-ce que les fabricants arrivent à se comparer à ce qui se fait de mieux chez nos voisins du Sud ? Les spécialistes que nous avons consultés gardent leurs réserves, malgré les indéniables qualités des produits de chez nous. « Le Québec a connu un boom en compétition depuis 2017, et plusieurs équipes ont essayé de faire une sauce qui se démarque », soutient Manny Mavroudis, pitmaster depuis 2016 et cofondateur du concours 514 BBQ.

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Johnny Leech, propriétaire de Smoking Shack BBQ.

Je pense qu’ils doivent prendre leur temps pour faire une bonne sauce. Chacun veut faire sa propre recette, tout le monde veut se démarquer. Mais il y a encore du travail à faire par rapport à ce que font les meilleurs pitmasters américains.

Manny Mavroudis, cofondateur du concours 514 BBQ

Son collègue Dany Tremblay, qui a mené l’équipe Wally BBQ aux sommets canadiens de la cuisine sur barbecue, abonde dans le même sens. « Les Québécois sont créatifs, l’esprit d’entrepreneuriat est fort, on voit donc beaucoup de gens se lancer, estime-t-il. Mais je connais aussi des commerçants qui m’affirment qu’ils commencent à être essoufflés et qu’ils sont gênés de dire non à de nouveaux fabricants de sauces. Parce qu’ils savent que ça peut rester longtemps en tablette. »

Artiste saucier

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Mettre au point une bonne sauce ne semble donc pas donné à tout le monde, pour peu que l’on ait les papilles gustatives assez affûtées pour en déceler les subtilités. « Ça prend plusieurs éléments pour faire une bonne sauce, ça prend un équilibre entre le salé, l’acidité, le sucré, sa texture doit être attirante et elle doit avoir du caractère, nous explique Jonathan Nguyen, qui vend ses sauces aux clients de son resto. Pour ma part, j’offre la mienne depuis 10 ans, mais j’ai fait cinq ou six essais, sinon plus. Tu ne peux pas réussir du premier coup. Tu commences lentement à savoir c’est quoi, tu saisis graduellement la façon de faire. »

Certains, comme Kevin Malo, du Roi de la sauce, vont suivre des formations pour raffiner leur art. « Ça m’a notamment permis de connaître les différentes propriétés des sucres, par exemple que le miel permet de bien diluer le piquant alors que la mélasse doit être utilisée avec parcimonie », nous explique le jeune homme, qui épaule son père, Daniel, à la boucherie Beau-Bien, dans l’est de Montréal. « J’ai l’impression que les gens qui ont concocté des sauces n’ont pas tous ces connaissances. Certains se sont lancés pour suivre un mouvement. »

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Dany Tremblay a mené l’équipe Wally BBQ aux sommets canadiens de la cuisine sur barbecue.

Kevin Malo, qui offre en magasin des centaines de variétés de sauces barbecue et piquantes, soutient néanmoins que le marché n’est pas saturé pour autant. « Chacun met son petit grain de sel », soutient celui qui a raffiné la recette de la sauce barbecue Ultime. « D’accord, il y a beaucoup de choix, il y a toujours de nouvelles idées qui surgissent. Aussi, la sauce est passée du statut de condiment à outil de travail qui permet notamment de caraméliser la viande pour en faire une belle croûte goûteuse. »

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Le secret est de garder son authenticité et de créer quelque chose d’équilibré et d’homogène qui va aller avec le plus de viandes possible.

Kevin Malo, du Roi de la sauce

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Kevin Malo, du Roi de la sauce, à la boucherie Beau-Bien, dans l’est de Montréal.

Toutefois, le risque des fabricants n’est pas si grand, étant donné que le développement et l’embouteillage d’une sauce nécessitent peu de dépenses. Sans compter que le produit peut généralement se conserver très longtemps. « Je suis d’avis qu’il y a de la place sur le marché, parce que ça reste un produit qui a une portée plutôt locale », estime Guillaume Couture, copropriétaire de la boucherie Le Boucan, à Québec. « Quand j’ai commencé à vendre mes propres sauces, mon ambition de départ était le rayonnement et le succès de mon équipe et de mon commerce. Ça reste un projet à petite échelle, ça fait plaisir à la faire, ça permet de développer notre image de marque. Dans ce sens, il y a de la place pour tout le monde. »