L’ancien Lux, ce « bar-dépanneur » géant, à la fois librairie et épicerie, ouvert 24 heures sur 24, dans le Mile End, est à vendre.

Celui qui l’a acheté en 1999 pour y loger ses bureaux cherche un plus grand local. Mais, étonnamment, il n’a rien détruit du décor conçu par l’architecte Luc Laporte (L’Express, Laloux, Leméac, le Café du TNM, le nouveau Club Soda, la Société des arts technologiques…), mort en 2012. Les escaliers tournants et les balustrades en fer ont été conservés, tout comme l’immense dôme vitré.

Dans La Presse du 10 janvier 1987, le chroniqueur Pierre Foglia écrivait : « Ce n’est pas tout le monde qui aime le Lux, mais tout le monde reconnaît que c’est le Lux qui a tout déclenché sur la rue Saint-Laurent entre Laurier et Saint-Viateur. Qui a donné le ton aussi. Le ton New York East Side. Le ton nowhere fucké, vieille usine désaffectée. Le ton noir, blanc et gris. On va s’en tanner c’est sûr. Mais en attendant ça nous change des pastels de la rue Saint-Denis. »

> Lisez la chronique de Pierre Foglia sur Le Lux

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L’immense dôme vitré est toujours bien visible de l’intérieur.

Bar échangiste

Ce lieu unique et « flyé », qui a animé les nuits de Montréal pendant une dizaine d’années et fait redécouvrir le Mile End, a ouvert ses portes en 1984 et les a fermées en 1993 parce qu’il n’était pas rentable. La rumeur veut qu’il ait ensuite hébergé un club échangiste.

L’édifice a été placardé pendant quatre ou cinq ans. Quand on est rentrés ici, il y avait de vieux donjons en ruine… On avait l’impression d’être dans une maison abandonnée. On aurait pu tout détruire, mais on a décidé qu’on aimait la structure.

Jean-François Talbot, président de Studio Fly et actuel propriétaire de l’immeuble

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Le Lux a ouvert ses portes en 1984 et les a fermées en 1993.

Que deviendra cet immeuble maintenant ? Un restaurant ? Un hôtel-boutique ? Une galerie d’art ? Un espace de bureaux partagés ? Une (autre) foire alimentaire ? Ou un musée, comme le désire l’agent d’immeubles François Baron ?

Pas les moyens

L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal n’a pas le pouvoir de dicter son avenir ni de protéger ses grands escaliers en fer, mais souhaite que cela redevienne un lieu ouvert au public.

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Le Studio Fly souhaite déménager ses bureaux dans un lieu plus adéquat.

« Si c’était un restaurant, je serais toujours là », assure la conseillère Marie Plourde, qui fréquentait le Lux à l’époque.

« La fermeture du Lux a été une perte pour tout le monde, ajoute-t-elle. J’aimerais que la Ville puisse l’acheter et en faire un équipement culturel, mais on n’a pas ces moyens-là. »

Chose certaine, le Plateau ne changera pas l’usage du bâtiment, zoné commercial. Le futur acheteur pourrait, s’il le souhaite, démolir l’intérieur, mais il n’aurait pas le droit d’ajouter des étages ou de modifier la façade. L’immeuble atteint déjà la hauteur maximale permise.

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Le Studio Fly utilisait l’espace central du bâtiment pour recevoir des clients autour d’une grande table en bois, sous le dôme.

« Si on pouvait avoir des bureaux et un endroit ouvert sur le monde, ce serait idéal », précise Marie Plourde, qui cite en exemple le Cinéma Moderne, à deux pas, où on peut prendre un café, boire un verre ou manger avant, pendant ou après le film.

Espace unique

Quand le Studio Fly a acheté l’immeuble, il y a 20 ans, cette portion de la Main était en très piètre état.

« Nos bureaux étaient dans l’édifice en face du Cinéma Impérial, rue De Bleury, rappelle Jean-François Talbot. Je suis passé devant. Il y avait une pancarte à vendre. On l’a acheté en une semaine, avant Noël, en décembre 1999. »

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Le Plateau-Mont-Royal souhaite que le bâtiment redevienne un lieu ouvert au public.

M. Talbot, qui se souvenait du Lux, cherchait un espace unique, qui avait du caractère. « J’ai dit à mon associé : “Hé !, ça ferait vraiment une bonne place”. Il m’est revenu deux jours après. Il a dit : “C’est réglé”. »

Musée, films et jeux

À l’époque, Studio Fly faisait essentiellement de la postproduction pour des agences de publicité. L’espace central du bâtiment permettait de recevoir les clients autour d’une grande table en bois, sous le dôme. Mais la « business » a changé, et il ne vient plus beaucoup de clients.

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L’arrondissement souligne que le futur acheteur pourrait, s’il le souhaite, démolir l’intérieur, mais il n’aurait pas le droit d’ajouter des étages ou de modifier la façade. 

Aujourd’hui, la boîte emploie une trentaine de personnes, en grande majorité des hommes (80 %), qui font de l’animation, de la composition, du montage, de la scénarisation et de la direction artistique. Elle travaille notamment avec le Cirque du Soleil, Denis Villeneuve, Dubaï, New York et Las Vegas, où elle a réalisé le plus grand jeu vidéo « life » au monde, dans le cadre de l’exposition interactive consacrée à Hunger Games.

« On est vraiment une boîte spécialisée dans les projets spéciaux. Il y a IKEA et le gars qui fait les meubles sur mesure, explique Jean-François Talbot. Nous, on est les meubles sur mesure. On intervient quand ça sort du cadre. Dans les films, on prend la portion qui devient un casse-tête pour les autres. On est des patenteux. »

Des « patenteux » qui ont besoin d’un plus grand terrain de jeu.