Donnez-lui un poivron, elle en fera une fleur. Donnez-lui une racine de taro, elle en fera un oiseau. Donnez-lui un melon, elle en fera une pièce d’orfèvrerie. Faire œuvre de beauté avec ce qu’on trouve dans le potager, c’est le rayon de Mia Bureau. Et pas qu’un peu. Rencontre avec la papesse québécoise de la sculpture culinaire.

« Ça prend de la dextérité et de la patience », explique Mia Bureau en prélevant précautionneusement une particule du melon qu’elle est en train de sculpter. Piquer, creuser, couper, ciseler, denteler, chantourner… atteindre le rouge vif de la chair, le marier avec le rose de sa voisine d’au-dessus, exposer un peu du blanc de la sous-couche, jouer avec les verts de la pelure… En quelques heures, sous sa main experte, et avec comme seul outil un petit couteau, le gros ballon vert va se transformer en une chose magnifique, sorte d’œuf Fabergé végétal.

« Je m’inspire de l’architecture et du graphisme », indique la femme de 40 ans, qui était auparavant designer d’intérieur. En matière de créativité, ce métier la laissait cependant un peu sur sa faim. « Ça dépend où tu travailles, énonce Mia. Moi, je faisais de la coordination de déménagements de bureaux de 40 000 pi2. Je voulais exploiter plus mon potentiel créatif, faire quelque chose qui me comblerait à tous les points de vue, mais je ne savais pas quoi. » Parce que, du plus loin qu’elle se rappelle, cette fille d’architecte qui a une formation en design de l’environnement et en arts visuels a toujours aimé faire des plans, concevoir des choses et créer de ses mains.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Mia Bureau sculpte des pétales tout le tour du melon avec minutie. Il faut une unicité dans la forme et la taille des pétales.

La révélation

Sa voie, elle l’a trouvée presque par accident, un soir de fête, en 2006. Ce jour-là, elle a offert son aide à un ami indonésien, cuisinier de son métier, qui préparait un souper d’anniversaire pour une amie commune. Affectée à la coupe de fruits, Mia s’est appliquée à les trancher minces, pour faire élégant. Voyant cela, l’ami, qui travaillait au Casino de Montréal, a entrepris de lui montrer quelques trucs. « Des choses simples, comme la coupe de cantaloup, tourner des champignons… », résume Mia. Sur cette lancée, il lui a aussi montré la photo d’une pièce montée, qu’un ami avait sculptée pour un mariage. Emballée, Mia se souvient d’avoir sculpté pendant quatre heures, ce fameux jour, continuant même après l’arrivée des invités.

Ç’a été vraiment fort pour moi, comme une révélation. Je me suis dit : « c’est ça que je veux faire dans ma vie. »

Mia Bureau

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Mia Bureau cultive sa passion de la sculpture culinaire depuis 13 ans. Pour une petite démonstration, nous la retrouvons chez Mia tapas indonésiens, rue De Castelneau, restaurant tenu par son ex-conjoint. Plusieurs photos des œuvres de Mia ornent les murs du restaurant.

Pas de cours

Dans les jours suivants, Mia a tenté sans succès de trouver un endroit pour suivre des cours de sculpture culinaire. « J’ai appelé partout au Québec, il n’y avait pas de cours », se souvient-elle. Ce n’était pas le moment de partir en Thaïlande, où cette discipline est considérée comme un art traditionnel. Mia a fini par trouver un livre sur le sujet, a étudié le b.a.-ba, et s’est mise à sculpter. « J’avais le temps, j’étais enceinte de ma fille, je sculptais tous les jours, souvent jusqu’à 4 h du matin. Au bout de deux semaines, je faisais un dragon volant », lance-t-elle en riant.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Sculpter de jolis motifs dans la pelure demande de la force physique, mais aussi de la retenue dans le geste. Mia Bureau utilise un petit couteau thaïlandais pour faire tout le travail. En Thaïlande, la sculpture culinaire est un art traditionnel.

Mia s’est tellement investie dans cette discipline qu’un an et demi plus tard, elle lançait sa petite entreprise : Sculpture culinaire Mia Bureau. C’est ainsi qu’elle a commencé à donner des ateliers privés de sculpture culinaire. Au fil des années, Mia a aussi donné d’innombrables prestations devant public dans des marchés, des événements d’entreprises et artistiques. Elle a participé à des compétitions nationales et internationales, a remporté des médailles. Cette passion, qui englobe aussi la sculpture sur fromage, elle la cultive depuis 13 ans et ne s’en lasse pas. « J’aime créer devant public, j’aime parler avec les gens », dit-elle.

Art éphémère

Pour passer des heures et même des jours à faire quelque chose qui va se flétrir et pourrir en peu de temps, il faut une bonne dose de lâcher-prise. Parce que, au mieux, dans les bonnes conditions d’humidité et de température, la sculpture sur fruits et légumes durera une huitaine de jours. Le fromage, lui, durera plus longtemps. « Les gens sont toujours impressionnés. C’est le côté éphémère qui donne de la magie à la sculpture culinaire », évalue Mia. N’empêche que, tout en continuant à faire de la sculpture culinaire, Mia a aussi entrepris de peindre et sculpter avec des matériaux non périssables. Parce qu’un peu de pérennité de l’œuvre, autrement que sur photo, est douce aussi, au cœur de l’artiste.

Faire une fleur en poivron

Pour ceux qui auraient envie d’essayer, commençons avec quelque chose de tout simple : une fleur en poivron.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Avec un petit couteau bien aiguisé, faire un long zigzag en continu, tout le tour du poivron,
pour faire les pétales. On veut des pétales qui vont avoir de 1 à 2 cm, à la base. Trop larges,
ils perdent de l’élégance. Il est aussi préférable de ne pas couper plus bas que 2 cm au-dessus
de la courbe du poivron, sinon les pétales s’en trouveront fragilisés.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

On sépare le poivron ainsi taillé, pour garder la partie avec le pédoncule. L’autre partie peut être utilisée pour cuisiner.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

On coupe la membrane blanche à l’intérieur du poivron, près du cœur.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

On effile les pétales, en enlevant délicatement de la chair. On en enlève de plus en plus en allant vers la pointe des pétales. C’est ce qui va aider à faire friser les pétales dans l’eau.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les pointes des pétales, une fois finies

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

On plonge le poivron tête en bas dans l’eau glacée, et on l’y laisse au moins quatre heures, dans le frigo.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Une fleur de poivron finie. Le pédoncule lui donne de la solidité et offre une assise si on veut la piquer sur une tige.

À la manière de Mia

Comment Mia Bureau s’y prend-elle pour faire des sculptures aussi spectaculaires ? Voici quelques-uns de ses trucs.

Quels aliments choisir

Des fruits et légumes frais, fermes et assez gros. « Moi, j’aime faire de grosses pièces. J’achète mes fruits dans des fruiteries. Je les tâte, les regarde sous tous les angles. Il faut qu’on me connaisse, parce que j’ai l’air d’une psychopathe », dit-elle en riant.

Ses fruits préférés

Le melon pour ses couleurs éclatantes, le melon de miel pour sa texture, la papaye très ferme…

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Au fil des heures, le gros melon va se transformer. Elle coupe d’abord une extrémité du melon, pour faire une assise solide, et l’appuie sur un linge pour l’aider à rester en place. Sculpter un melon peut prendre de quatre à six heures. Mia travaille sur celui-ci depuis environ 45 minutes.

Son outil

Mia fait pratiquement tout avec un petit couteau thaïlandais très pointu, qu’elle affûte plusieurs fois pendant sa prestation.

Son plan

« J’ai une vague idée de ce que je vais faire avant de commencer, mais j’y vais avec l’inspiration du moment. Je peux avoir un thème pour un événement spécial, mais j’ai toujours carte blanche. »

Savoir forcer

C’est dur physiquement, surtout pour les bras, le dos et les épaules. « Ça prend de la force, mais de la retenue en même temps. »

Les inévitables erreurs

Des erreurs, tout le monde en fait. Il ne faut pas s’en faire, et les exploiter. « Que de belles erreurs j’ai faites ! s’exclame Mia. Elles m’ont amenée ailleurs, m’ont fait découvrir autre chose. »