Il y a moins de trois ans, Dany Tremblay se contentait de cuire des boulettes de bœuf haché sur son gril au gaz. Or, après le premier BBQ Camp, à l’automne 2016, il s’est découvert une passion dévorante. Cinquième l’an dernier dans la catégorie barbecue aux World Food Championships, en Alabama, Dany veut cette année percer le top 50 au monde et devenir le meilleur pit master du Canada. Récit.

Dany Tremblay, qui est devenu pit master en un temps record, ne fait pas les choses à moitié. Quand il a décidé de se mettre à la cuisson au fumoir, il a, coup sur coup, acheté des appareils aux granules de bois, un gril inversé au bois et un barbecue en céramique de type kamado. En moins d’un an, il avait à sa disposition 14 machines (il en a aujourd’hui 19, dont 6 réservées aux compétitions).

« J’ai aussi suivi toutes les formations offertes par BBQ Québec, de même que le cours de maître fumeur de BBQ Labonté, à Drummondville », nous a raconté Dany lors de notre première rencontre, à l’automne 2017, à l’occasion du deuxième BBQ Camp. « Et pour savoir comment les compétitions étaient jugées, j’ai même suivi le cours de juge de la Kansas City Barbecue Society, l’autorité en matière de concours de barbecue ! »

C’est sans aucune attente que Dany et sa conjointe Diane Dorval ont décidé de s’inscrire au printemps 2017 à leur premier concours amateur, à Saint-Étienne-de-Lauzon, en donnant à l’équipe le nom de leur chien Wally. Ils ont terminé deuxièmes. Même performance au Wolf BBQ Fest de Richmond ainsi qu’à la Grande Gourmandise, à Boucherville. « Je n’en revenais pas, a raconté le pit master de Lévis. Peu de temps après, on m’a suggéré d’aller faire le concours de Lake Placid, cette fois dans la catégorie professionnelle. Mais on m’avait mis en garde : c’est plus facile de gagner comme amateur que d’arriver avant-dernier chez les pros. »

On m’avait aussi dit que je ne devais pas m’attendre à recevoir de nominations au sein du top 10 dans mes premiers concours pros. J’en ai eu six dans mes cinq premières compétitions.

Dany Tremblay, pit master

Il faut dire que Dany a littéralement mis les bouchées doubles, ne laissant rien au hasard : « J’ai fait cuire 70 côtes levées en deux semaines afin de raffiner mes recettes. J’étais en feu. Quand je développe une passion, j’y vais “all in”, a dit celui qui travaille en automatisation dans le milieu manufacturier. En même temps, j’avoue que c’est inespéré d’être où j’en suis en si peu de temps. Je me donne donc un an pour voir si j’aime vraiment ça, mais disons que c’est bien parti. Si je suis bon, je vais être tannant. Ça va exploser, ça ne sera pas long. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Afin de parvenir à la recette de côtes levées qu’il juge parfaite, Dany Tremblay a testé de multiples façons de faire.

Consécration et alliance

Chose promise, chose due. En 2018, Wally BBQ s’est finalement inscrit à 20 compétitions, ce qui a nécessité un investissement en temps et en argent – près de 35 000 $, a estimé Dany Tremblay. « On a participé uniquement à des compétitions professionnelles et on a eu beaucoup de succès, nous a-t-il appris quand nous avons repris contact au printemps. Si bien qu’on a été sélectionnés par la Canadian BBQ Society pour aller représenter l’est du Canada en octobre aux World Food Championships en Alabama, qui sont considérés un peu comme la Coupe Stanley des concours culinaires. »

Wally BBQ a terminé cinquième dans la catégorie barbecue au terme de trois rondes éliminatoires chaudement disputées.

Pour la ronde ultime, la viande imposée et fournie par l’organisation était de l’agneau. Je n’avais même pas lu les règlements et j’ai eu six heures pour apprendre à cuisiner l’agneau. J’en ai fait, des tests, cette nuit-là !

Dany Tremblay, pit master

Il a toutefois bénéficié de l’aide non négligeable de son nouvel allié Stefan Jacob, chef du Gras Dur, propriétaire du parc de camions de bouffe de rue Das Food Truck et lui-même lauréat de nombreux prix culinaires. Les deux hommes se sont rencontrés pendant le tournage de la websérie BBQ Québec La Team, qui cherchait à constituer une équipe toute québécoise dans l’espoir de s’imposer au concours American Royal, à Kansas City, considéré comme les Séries mondiales du barbecue. Malgré une performance globale en demi-teinte qui a laissé Dany et Stefan sur leur faim, la chimie a aussitôt opéré entre le pit master et le chef, qui ont décidé de s’associer pour amener Wally BBQ encore plus loin.

« Stefan m’apporte un bagage culinaire que je n’ai pas, sa venue m’a permis de développer ma polyvalence, nous a expliqué Dany. Et il veut qu’on fasse toutes les catégories, c’est un crinqué, on s’entend bien. Et on vise tous les deux le premier rang mondial, rien de moins. »

Viande de compétition

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

La dernière touche est mise aux côtes levées avant de les présenter aux juges.

Les concours comme le World Food Championship ou l’American Royal sont souvent qualifiés de « sports » culinaires. Il faut être témoin d’une compétition de barbecue pour comprendre à quel point c’est vrai. Wally BBQ nous a invité à passer quelques heures avec l’équipe, plus tôt ce mois-ci, à l’occasion du 514 BBQ, premier concours montréalais homologué par la Kansas City Barbecue Society (KCBS).

Roulottes, tentes et chapiteau démontables, le site du concours organisé dans le secteur industriel de l’arrondissement de Saint-Léonard ressemble à un paddock de course automobile. À la différence que ce sont des barbecues et des fumoirs que l’on sort des remorques.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Installés dans leur roulotte aux couleurs de leurs commanditaires, Dany et Stefan préparent les viandes qu’ils feront ensuite griller et fumer.

« Pour cuisiner quatre plats de six bouchées, j’arrive avec une remorque de 30 pi, nous explique Dany Tremblay, de Wally BBQ. J’utilise six barbecues, dont deux fumoirs aux granules haut de gamme, et j’en ai un troisième en pièces détachées dans le camion, en cas de pépin. Heureusement que j’ai réussi à me trouver des commanditaires cette année, ça me coûte pas mal moins cher. Je me suis rendu dans l’élite dans ma première année complète de compétition, je n’ai plus besoin de cogner aux portes, je peux me concentrer sur les techniques de cuisson. »

À leur arrivée, les membres de l’équipe Wally BBQ font d’abord du repérage. Comme il faut remettre les plats aux juges à un moment très précis, chaque instant compte. On calcule donc le temps qu’il faut pour se rendre jusqu’au chapiteau des juges. « On ajuste ensuite le déroulement de notre horaire de cuisson et de préparation », explique Dany Tremblay. Il faut voir la liste exhaustive que Dany prépare pour chaque compétition ; tout y est consigné selon un horaire réglé comme du papier à musique, saumures, rinçage, préparation des boîtes de présentation, réduction des sauces, rien n’est laissé au hasard.

On détermine aussi le profil de saveurs que l’équipe va suivre, selon l’endroit où se déroule la compétition. « Je vais regarder qui sont les juges et on ajuste les recettes en fonction de leur âge et de leur profil, analyse le pit master. On va aussi prendre le pouls local en allant manger au resto et en goûtant les sauces populaires dans les épiceries. On va ainsi ajuster nos recettes et même les essences du bois de nos granules. Quand on fait un concours pour la première fois, comme ici, on essaie d’établir le niveau de base sur lequel construire. On ne peut pas se permettre de faire quelque chose de flyé ; un “wow” pour moi peut choquer certains juges et je ne peux pas me permettre d’obtenir un mauvais score. »

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Wally BBQ cuisine presque uniquement des viandes produites au Québec. Son porc vient de Saint-Patrice-de-Beaurivage, dans Chaudière-Appalaches.

Une chose qui ne change pas d’un endroit à l’autre, c’est la qualité de la viande. Wally BBQ s’approvisionne presque seulement au Québec, sa volaille vient de Roxton Pond et son porc, de Saint-Patrice-de-Beaurivage. Quant au bœuf, il ne jure que par le Wagyu et il cherche encore des bêtes suffisamment costaudes élevées chez nous. « Je n’avais pas les moyens de travailler avec le Wagyu au début, alors pour amener mes viandes au même résultat, je devais leur donner plus d’amour, explique Dany Tremblay. Au Québec, on a ça dans notre ADN de trimer dur, le travail paie tout le temps. Maintenant, je fais les mêmes efforts, mais avec de la viande de première qualité. Si tu veux sortir dans le top 20, t’as pas le choix, même si une pointe de poitrine de bœuf coûte jusqu’à 400 $ le morceau ! »

Sur les lieux, avant le début de la compétition, l’ambiance est détendue, les concurrents blaguent entre eux en sirotant quelques bières. N’empêche, on prend ça au sérieux, chacun garde généralement ses recettes pour lui. Les secrets d’assaisonnements sont comme les réglages d’une mécanique de course. Dany Tremblay avoue même être un tantinet machiavélique.

Notre bac d’épices est caché et on met des produits décoratifs sur le dessus. De même, on laisse traîner des bouteilles de sauce générique un peu partout pour confondre nos adversaires.

Dany Tremblay

À l’inverse, Dany admet avoir déjà fouillé dans les poubelles d’une équipe américaine de pointe dans l’espoir de percer ses secrets !

Cuisiner pour les juges

Tous ses efforts sont déployés afin d’obtenir les dixièmes de point qui vont jouer en sa faveur. « Il y a autant de complexité dans le goût dans les concours de barbecue que dans les grandes tables gastronomiques, assure Stefan Jacob, chef du Gras Dur qui s’est joint à Wally BBQ l’automne dernier. Sauf qu’ici, il n’y a qu’un seul mode de cuisson, et c’est pour ça que je suis attiré par les concours de barbecue. Ça m’a permis d’ajuster ce que je fais en cuisine. Toutefois, j’ai un peu de misère avec le côté vague du pointage en vigueur dans les compétitions de la KCBS. Dans les concours culinaires, les systèmes de points sont beaucoup plus précis, chaque aspect est décliné en plusieurs critères. Ici, on retient simplement l’apparence (1/7), la texture (2/7) et le goût (4/7). »

Autant Dany que Stefan répètent qu’ils cuisinent d’abord et avant tout pour les juges, qui vont noter en prenant une seule bouchée de chaque plat.

Personne ne cuisine en compétition comme chez lui, tout se passe dans une bouchée.

Dany Tremblay

« Il faut que ça cogne, les saveurs sont exacerbées. En fait, si tu mangeais un plat complet comme ceux que l’on apprête en compétition, tu roulerais par terre. En fait, je n’aime pas toujours ce que je cuisine en compétition », affirme Dany Tremblay.

« Les saveurs, les épices, le gras, tout est intense, ajoute de son côté Stefan Jacob. C’est fait pour qu’on en prenne une seule bouchée. D’ailleurs, on injecte et assaisonne davantage là où l’on sait que les juges vont croquer. »

Au terme de la compétition, Dany et Stefan sont contents de leur porc et de leur brisket (poitrine de bœuf), des cuissons qu’ils maîtrisent bien. Ils sont aussi assez satisfaits de leur poulet, leur bête noire. « J’ai un peu de misère avec le poulet, jusqu’à maintenant, avec les juges, il ne passe pas, se désole Dany. Mais je sais que ma brisket est dure à battre, je n’en commande d’ailleurs plus au restaurant. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

L’équipe Wally BBQ ne laisse rien au hasard. Même le temps qu’il faut pour se rendre jusqu’au chapiteau des juges est calculé.

Au bout du compte, sur 24 équipes, la brisket de Wally BBQ s’est classée quatrième, mais c’est le poulet qui a causé la surprise avec une deuxième place. « Notre mauvais sort est enfin levé », conclut Dany après le dévoilement des résultats.

Toutefois, avec des résultats hors du top 5 pour le porc et les côtes levées, Wally BBQ n’a pu faire mieux qu’une sixième position au classement général. « Dans les compétitions locales, je ne ressens plus le petit stress qui m’amenait à en donner un peu plus à la fin, nous avoue honnêtement Dany Tremblay. Ici, il y a moins de défi, même s’il y a d’excellentes équipes présentes au concours. Mais je sais que je vais retrouver mon sentiment d’urgence quand je vais aller me battre pour une position dans le top 10 mondial. »