À première vue, malgré un petit trou entre les yeux, il ressemble à un merlan comme les autres. Dans la réalité, sa chair est bien meilleure grâce à un abattage par ikejime, une technique japonaise séculaire, depuis peu pratiquée en France. Jeune patron-pêcheur de 30 ans, Daniel Kerdavid quitte dès l'aube le port de Quiberon, dans l'ouest de la France. À bord du Miyabi, un palangrier-ligneur de 9 mètres, il va pêcher autour de Belle-Île, lieu jaune et merlan.

Jusque-là rien de bien étrange. Mais une fois le poisson remonté à bord, un hameçon dans la bouche, le jeune pêcheur lui perce d'un coup assuré le crâne à l'aide d'un crochet, avant d'enfiler dans l'orifice une tige en acier, de lui trancher les artères et de le laisser se vider de son sang dans un bac rempli d'eau et de glace.

«Je tue le poisson, je ne le laisse pas mourir», souligne fièrement le jeune homme protégé des éclaboussures d'eau salée et de sang par une combinaison noire imperméable.

Il s'agit de détruire en quelques secondes le système nerveux du poisson, moelle épinière comprise, tout en permettant au coeur de continuer à battre. «Le poisson est toujours vivant. Ses organes internes continuent de fonctionner, surtout le coeur qui va vider l'intégralité du sang», explique le jeune Breton qui n'a jamais mis les pieds au Japon mais pratique cette technique avec une assurance déconcertante.

«Le sang c'est la principale cause de dégradation du poisson», précise-t-il, expliquant s'être formé seul, en regardant des vidéos sur internet.

Débarrassées de tout leur sang, les chairs du poisson sont plus goûteuses. Et l'animal peut se conserver bien plus longtemps.

«Extrêmement doux en bouche»

La technique peut paraître à première vue cruelle, mais dans les faits il n'en est rien. «À partir du moment où je retire mon crochet le poisson ne ressent plus la douleur», assure Daniel Kerdavid, pour qui il est bien pire pour le poisson de le laisser agoniser sur le pont comme cela se fait habituellement.

Une agonie à l'origine d'un grand stress, synonyme de chairs moins bonnes.

Ce sont 91 kg de poisson que le jeune ligneur ramène à terre vers 17h. Les poissons les plus fragiles, comme le merlan et le lieu, sont tués à bord. Les autres, comme le congre, la dorade, la raie ou l'émissole, une espèce de requin de fond, le sont une fois arrivés à quai, après avoir été maintenus dans leur élément.

«Tout mon poisson est déjà vendu», se réjouit le pêcheur, qui dit avoir doublé ses prix - 8 euros le kilo en moyenne pour le merlan - grâce à l'abattage du poisson selon cette technique très répandue au Japon.

Une partie de ses merlans, lieus et autres dorades sera livrée dès le lendemain dans un palace parisien, une autre dans un établissement local.

«Ah la vache, c'est beau!», s'exclame Hervé Bourdon, le chef de ce restaurant de 25 couverts, visiblement en extase devant les merlans livrés. L'ikejime «ça change complètement le goût et la texture du poisson. On a quelque chose qui va devenir extrêmement doux en bouche. C'est assez inouï», souffle-t-il, disant ne pas s'intéresser au prix mais à «la qualité».

Face à l'engouement grandissant des chefs, le jeune pêcheur installé depuis cet été à Quiberon se renouvelle sans cesse et cherche désormais la manière de pratiquer l'ikejime sur les homards afin d'éviter d'ébouillanter les crustacés vivants.

En France, au moins deux autres entreprises proposent du poisson tué par ikejime: la société de mareyage France Ikejime, dont le poisson est gardé vivant dans des viviers le temps qu'il déstresse, et Damien Muller, un pêcheur corse qui le pratique sur du thon rouge et de l'espadon.