Un déversement d'hydrocarbure en eau salée serait extrêmement difficile à circonscrire.

Témoignant, mardi, devant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) qui se penche sur le projet d'oléoduc Énergie Est, le professeur Émilien Pelletier, de l'Institut des sciences de la mer de Rimouski, a expliqué qu'une nappe de pétrole en mer n'est pas homogène.

« Ça ne fait pas une nappe très bien établie. Ça fait des filaments », a-t-il expliqué, photos aériennes à l'appui.

Selon M. Pelletier, qui est titulaire de la chaire de recherche en écotoxicologie moléculaire en milieux côtiers, les estacades ne peuvent servir, de façon réaliste, qu'à protéger certaines zones côtières comme des marinas ou des milieux sensibles.

De plus, il a expliqué qu'un déversement l'hiver en milieu salin causerait des maux de tête inédits.

« La glace de mer, contrairement à la glace d'eau douce que vous connaissez mieux, est friable et poreuse et permet donc l'intrusion et la séquestration du pétrole déversé », a-t-il souligné, ajoutant que « le pétrole dans la glace de mer active devient rapidement impossible à récupérer. »

Il faut donc attendre après la fonte, ce qui implique une récupération « à des endroits éloignés du site de déversement, parce qu'il va y avoir une dérive des glaces transportant le pétrole. »

Par ailleurs, M. Pelletier a ajouté qu'il est pratiquement impossible d'intervenir dans un marais après une contamination en raison de la fragilité du milieu, d'où l'urgence d'agir rapidement.

« On risque d'empirer les dégâts par piétinement et enfouissement du pétrole (...) En général, l'intervention dans les marais, il vaut mieux faire tout ce qu'on peut faire pour protéger les marais plutôt que d'attendre et tenter d'intervenir après. »

L'exemple de Lac-Mégantic

Les audiences du BAPE portent, mardi après-midi, sur les impacts d'un déversement sur les milieux sensibles, la flore et la faune. David Berryman, du ministère de l'Environnement, a utilisé le déversement survenu lors de la catastrophe de Lac-Mégantic, en juillet 2013, comme point de référence.

Il a notamment démontré que la rivière Chaudière avait été affectée de façon importante et, en plus de causer la fermeture de plusieurs prises d'eau pendant quelques mois, le déversement survenu lors de la catastrophe avait entraîné des travaux importants de décontamination qui n'avaient pas réussi à rétablir complètement le cours d'eau.

De plus, le ministère avait constaté l'année suivante une « hausse majeure » des anomalies physiques sur les poissons, notamment des déformations, de l'érosion des nageoires et des tumeurs.

« L'érosion des nageoires, notamment, est reconnue, a été observée chez des poissons exposés à d'autres déversements », a indiqué M. Berryman.

Dans un cours d'eau à l'état normal, il y a toujours un certain nombre d'individus qui présentent ces anomalies (...) mais l'ampleur qu'ils ont et leur fréquence dans la Chaudière, on n'a jamais vu ça sur aucun autre cours d'eau », a-t-il précisé.

Modélisation et plans d'intervention attendus

Le promoteur du projet Énergie Est, TransCanada, a par ailleurs expliqué qu'un « plan tactique d'intervention » serait mis en place pour chacun des endroits identifiés comme étant sensibles où pourrait survenir un déversement, mais que ces plans ne seraient pas complétés avant 2018.

De même, la modélisation des déversements pour les 24 rivières d'importance qui doivent être traversées par le pipeline n'est complétée de manière exhaustive que pour la rivière des Outaouais et celle de la rivière Chaudière serait prête bientôt. TransCanada n'a pas encore amorcé celle des autres cours d'eau et il faudra une à deux années pour les réaliser.

Cependant, le vice-président d'Énergie Est pour le Québec et le Nouveau-Brunswick, Louis Bergeron, a rappelé que les méthodes de construction présenteraient une sécurité accrue pour les cours d'eau importants.

« Sur les 24 rivières importantes, il y en a 21 qu'on traverse en forage directionnel horizontal à une profondeur d'au moins 15 mètres sous la rivière avec entrée et sortie à des centaines de mètres des rives », a-t-il fait valoir.

Certains tronçons du pipeline doivent également traverser des aires protégées et, interrogée sur la volonté du promoteur d'y aménager une route d'accès, une représentante du ministère de l'Environnement a indiqué qu'en principe toute construction était interdite dans ces espaces.

M. Bergeron a cependant indiqué que des discussions étaient en cours avec plusieurs ministères relativement à cette situation.