Après quarante ans dans des mines, M. Di a attrapé la tuberculose et a vu se tarir les sources d'eau de son village. Mais le charbon est son seul moyen de subsistance - comme il reste de loin la première source d'énergie de la Chine.

Le mineur de 55 ans se résigne à se ruiner la santé pour gagner sa vie : «Si j'étais paysan, je gagnerais en un an ce que je gagne ici en un mois», observe-t-il.

Ses ongles noircis témoignent d'une vie passée à travailler sous terre, au coeur de collines bleutées du Guizhou (sud-ouest), l'une des provinces les plus pauvres de Chine.

«Mes poumons ne me font pas trop mal», ajoute M. Di, qui ne donne que son nom de famille. Il confie que, de toute façon, il serait incapable de s'offrir un traitement médical.

Choisir le gain économique au détriment de sa santé : le sort de Di fait écho à celui de la Chine dans son ensemble, qui dépend toujours du charbon pour plus de 70 % de son énergie et en paye le prix environnemental.

Alors que les grandes métropoles suffoquent régulièrement sous un épais smog brunâtre, le premier ministre chinois Li Keqiang a appelé solennellement mercredi à «déclarer la guerre à la pollution».

Il a promis qu'un plafond serait fixé pour restreindre la consommation d'énergie du pays, que 50 000 chaudières à charbon seraient supprimées et les industries lourdes plus strictement contrôlées.

Mais les experts se montrent sceptiques sur la mise en oeuvre de ces mesures, alors que la demande énergétique ne cesse d'augmenter et que la deuxième économie mondiale enregistre ses plus bas taux de croissance depuis 1999.

«Le gouvernement se sent obligé de s'attaquer plus sérieusement aux problèmes environnementaux (...), mais je ne pense pas qu'il soit prêt à changer les choses en profondeur. Sa priorité reste d'alimenter la croissance économique», estime Xiaomin Liu, expert du cabinet IHS CERA.

«Airpocalypse» 

La Chine est le premier consommateur d'énergie au monde, et continue de miser massivement sur les combustibles fossiles : selon Greenpeace, 570 centrales à charbon sont programmées ou en construction dans le pays.

Mais le mécontentement populaire gronde face aux crises d'«airpocalypse» - notamment à Pékin où la concentration de particules dangereuses atteint jusqu'à 40 fois les niveaux maximaux préconisés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Sous pression, le gouvernement, qui a dégagé l'an dernier un budget de 1700 milliards de yuans (305 milliards de dollars) pour améliorer la qualité de l'air, prévoit de réduire à 65 %, d'ici à 2017, la part du charbon dans la consommation énergétique.

Les objectifs affichés sont ambitieux, mais certains experts se montrent circonspects.

Soucieuses de rassurer d'abord les métropoles prospères des provinces côtières, «les autorités ne feront peut-être que déplacer la pollution du charbon vers l'ouest» et ses régions défavorisées, s'inquiète Jennifer Turner, directrice d'un programme sur la Chine au Woodrow Wilson Center.

Le Guizhou a, quant à lui, promis de fermer la moitié de ses mines - soit environ 800 sites - d'ici à mi-2014. Mais il s'agit des petits puits les moins rentables, ce qui ne réduira pas nécessairement la production totale de la province.

«Risques cachés» 

Autour du village d'Anshun, où habite le mineur Di, les habitants ont longtemps profité de l'industrie du charbon. Un mineur peut gagner 6000 yuans par mois (1078 $), soit deux fois plus qu'un ouvrier et dix fois plus qu'un agriculteur.

Certains pourtant reconnaissent que cela pourrait être une bonne chose de mettre un terme aux coups de grisou meurtriers, aux poumons noircis, au gaspillage des ressources en eau mobilisées par l'activité minière et aux effondrements de maisons dus à un sous-sol surexploité.

Zhang Yan se souvient en sanglotant de la mort de son mari au fond d'une mine. Blotti contre le poêle familial, leur fils adolescent évoque le conseil de son père : «Il m'avait dit : "Ne fais pas ce boulot! Reste à la surface, c'est moins dangereux"».

Un riverain nommé Yan, 45 ans et père de deux enfants, indique avoir quitté sa mine l'an dernier, par peur des «risques cachés», et songe désormais à quitter sa famille pour aller chercher du travail ailleurs.

Il commente : «Fermer les mines, ce ne serait pas mal. Les bénéfices ne sont que temporaires. À long terme, il n'y a aucun avantage à en attendre».