Économie ou écologie? Après des années de tergiversations, le Pakistan a tranché le débat pour se lancer aujourd'hui dans l'exploitation de ses vastes gisements de charbon, préférant juguler une crise énergétique sans précédent plutôt que de limiter la pollution.

De tous les combustibles fossiles utilisés pour produire de l'électricité, le charbon traîne la réputation d'être le plus polluant. Afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, certains pays ferment leurs centrales au charbon.

Mais le Pakistan, pays de plus de 180 millions d'habitants confronté à la pire crise énergétique de son histoire moderne, avance en sens contraire, injectant, grâce à ses bailleurs, des milliards de dollars dans cette filière pour sortir de sa crise énergétique.

Aujourd'hui, les coupures de courant avoisinent 20 heures par jour dans certains villages et plombent la productivité des usines du pays, à la recherche d'au moins 4000 nouveaux mégawatts pour combler son déficit électrique.

Le premier ministre Nawaz Sharif a multiplié au cours des derniers mois les annonces de barrages hydro-électriques et de centrales nucléaires, mais ces projets prendront plusieurs années pour se concrétiser. Et ne combleront pas la demande, croissante, dans ce pays en développement à la démographie galopante.

D'où le recours au charbon pour doper la production énergétique à court et moyen terme.

Les autorités ont ainsi lancé le mois dernier les travaux de construction d'une mine de charbon et d'une usine transformant ce combustible en électricité à Thar, dans la province méridionale du Sind.

Ce partenariat public-privé chiffré à 1,6 milliard de dollars doit, dans cinq ans, générer 660 mégawatts, selon les données des autorités qui voient dans le charbon un nouveau Klondike.

Les gisements de Thar

Les études citées par le gouvernement pakistanais chiffrent à 175 milliards de tonnes le charbon prisonnier du désert de Thar.

«Ce sont des gisements énormes dont la valeur énergétique correspond aux réserves de pétrole combinées de l'Arabie saoudite et de l'Iran», avance Agha Wasif, responsable du dossier au ministère provincial de l'Énergie.

Le charbon? «C'est un chantier majeur, historique. Nous ne produisons pas d'énergie à partir du charbon contrairement à l'Inde dont 69 % de l'électricité est produite par ce type de centrales», explique Khawja Asif, ministre pakistanais de l'Énergie.

À Jamshoro, dans la province du Sind, et à Gadani, une paisible cité portuaire sur la mer d'Arabie, où d'énormes navires sont démantelés, les autorités ont aussi donné le feu vert à des projets de centrales au charbon.

Mais ces centrales vont forcer le déplacement de nombreuses familles. «Nous vivons ici depuis sept générations. Les tombes de nos ancêtres sont ici. Comment pouvons-nous quitter ces lieux?», se lamente Umaid Ali, 25 ans, rencontré près de Gadani.

Les relocalisations seront mineures, estiment sans plus de précisions les autorités pakistanaises, qui veulent aussi réduire les onéreuses importations de pétrole du pays en convertissant les centrales thermiques au charbon.

Exit pétrole, bonjour charbon

À Karachi, première ville du pays, la compagnie d'électricité KESC a ainsi accordé un contrat de plus de 400 millions de dollars à la société chinoise Harbin afin de reconvertir au charbon deux centrales qui dévorent du fioul pour produire de l'électricité.

«Diversifier (le bouquet énergétique) par le charbon permettra de réduire la facture des importations de pétrole», estime Wencai Zhang, vice-président de la Banque asiatique de développement (ADB), qui vient d'octroyer un prêt de 980 millions de dollars pour la centrale de Jamshoro (sud).

Car le Pakistan importe par an quelque 14 milliards de dollars en pétrole, dont la majeure partie est brûlée dans les centrales thermiques, selon l'ADB, d'où l'intérêt d'un combustible moins onéreux, et local, pour rééquilibrer la balance commerciale et regarnir les réserves de devises étrangères.

Les questions environnementales passent donc au second plan dans ce pays en crise et dont les émissions polluantes par personne demeurent bien en deçà de celles des économies occidentales.

«Certes, il y a des problèmes graves liés aux émissions de CO2, mais la pollution causée par le Pakistan demeurera insignifiante à l'échelle planétaire», défend Pervez Hoodbhoy, spécialiste pakistanais des questions nucléaires et énergétiques.

L'autre option serait d'investir encore davantage dans le nucléaire, mais ce choix porte en lui «le potentiel d'un désastre» compte tenu du bilan du Pakistan en matière de sécurité, dit-il. «Le charbon semble le moins mauvais de deux maux».