Pendant qu'on s'inquiète du déficit des finances publiques, le Québec est en proie à un autre déficit «structurel».

En effet, en dépit de ses ambitieux objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES), la province va continuer d'émettre trop de gaz carbonique dans l'atmosphère.

C'est la conclusion à laquelle arrive l'Institut de recherche et d'information socio-économiques (IRIS), un groupe de réflexion de gauche.

L'étude est la première à tenter d'établir quel serait le «budget carbone» du Québec, c'est-à-dire quelle quantité de gaz à effet de serre les Québécois peuvent émettre d'ici 2100, selon ce que la science climatique prévoit.

«C'est la première fois qu'on essaie de faire cet exercice pour le Québec», selon Gontran Bage, directeur, développement durable et gestion des gaz à effet de serre chez Raymond Chabot Grant Thornton.

Le concept de «budget carbone» est relativement nouveau. Les premières publications à ce sujet datent de 2008. Mais il a rapidement été adopté par le milieu scientifique et a fait son entrée dans la science officielle, reconnue par tous les États, dans le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), en septembre dernier.

Les climatologues ont en effet prouvé qu'il y a une relation très nette entre les émissions cumulatives mondiales de GES et le climat.

Autrement dit, il y a une limite physique à la quantité totale de charbon, pétrole et gaz que l'on peut brûler tout en limitant le réchauffement à 2 degrés Celsius - l'objectif officiel convenu à la conférence de Copenhague sur le climat en 2009.

Cette quantité de carbone a été estimée à 2930 milliards de tonnes. C'est notre «budget carbone» global. On a déjà «dépensé» 1950 milliards de tonnes depuis 200 ans. Il resterait donc moins de 1000 milliards de tonnes.

Au rythme actuel, ce budget global sera épuisé en 2037, soit bien avant 2100. Et le réchauffement aurait des conséquences catastrophiques.

Il faut prendre ce budget au sérieux, dit l'IRIS.

«Outrepasser le budget carbone global laisserait aux prochaines générations une nouvelle planète à l'équilibre chimique rompu, instable et imprévisible, voire carrément «incompatible avec une communauté globale organisée»», affirme-t-on, citant une recherche du climatologue britannique Kevin Anderson.

Le défi qui attend la communauté mondiale est de répartir ce budget entre les pays du monde - et leurs économies.

«Toutes les populations du monde aspirent à un niveau de vie digne, note l'IRIS. Puisque le budget carbone est limité, les pays développés doivent faire de la place aux pays en développement.»

Selon une allocation équitable du budget carbone global, le Québec hériterait d'un budget de 2,1 milliards de tonnes, calcule l'IRIS.

Pour le respecter, il faut que les émissions annuelles diminuent chaque année, et ce, à un rythme beaucoup plus grand que ce qui est prévu par le gouvernement.

Avec ses émissions de plus de 60 millions de tonnes en 2011, la province va dépenser son budget total bien avant la fin du siècle, même si l'objectif est de réduire les émissions annuelles de 25% d'ici 2020.

«L'approche par budget carbone implique une action beaucoup plus ambitieuse, soit une cible de 40% sous le niveau de 1990 d'ici 2020», estime l'IRIS. En fait, en 2011, le budget de la province aurait été de 50,3 millions de tonnes, selon les calculs de l'IRIS.

En chiffres

Budget carbone global (2000-2100): 1340 milliards de tonnes

Part du Québec (2000-2100): 2,1 milliards de tonnes

Émissions en 2011: 61,6 millions de tonnes

Budget de carbone en 2011: 50,3 millions de tonnes

Déficit: 11,3 millions de tonnes