Couper la végétation au bord des routes coûte plus de 5 millions de dollars par année au ministère des Transports du Québec, a appris La Presse. Une méthode d'entretien qui pollue et présente très peu d'avantages, selon de nombreux experts, qui y voient un potentiel environnemental dilapidé.

Au moins deux fois par année, des tracteurs sillonnent les autoroutes et routes du Québec pour couper la végétation qui les borde.

En milieu urbain, la « fréquence minimale » de tonte augmente à trois, précisent les normes du ministère des Transports.

« On a encore au Québec la mentalité de mettre ça propre », constate Yves Bédard, biologiste à la retraite du Ministère.

L'homme s'y connaît : c'est lui qui est à l'origine du programme de gestion écologique de la végétation (GEV) développé par Transports Québec à la fin des années 90, programme qu'il a supervisé jusqu'à sa retraite, en 2015.

« Dans les années 70, on tondait huit fois par année », se souvient Yves Bédard.

La GEV a réduit la fréquence et la superficie des tontes, sauf sur les deux premiers mètres à partir de la chaussée, où prolifère l'herbe à poux, afin de favoriser « à la fois la biodiversité, les habitats fauniques, la beauté du paysage et la sécurité routière », explique le site internet de Transports Québec.

« Il y a encore beaucoup de tonte qu'on pourrait laisser tomber, c'est certain », croit pourtant Yves Bédard, estimant qu'il y aurait « beaucoup d'argent à épargner ».

L'« entretien des espaces verts » le long des quelque 30 000 kilomètres de routes et d'autoroutes qui relèvent du ministère des Transports du Québec a coûté l'an dernier 5,4 millions aux contribuables, révèlent des chiffres que La Presse a obtenus en invoquant la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Il s'agit d'une diminution par rapport aux années 2016 et 2015, particulièrement coûteuses, mais d'une légère augmentation par rapport à la moyenne des neuf dernières années.

POTENTIEL GASPILLÉ

Réduire la tonte est assurément une bonne chose, mais il y aurait beaucoup plus à faire, comme ajouter au bord de nos routes d'autres types de végétaux que de l'herbe, croient les spécialistes interrogés par La Presse.

« On ne fait pas un entretien basé sur le potentiel environnemental de ces espaces-là », déplore Jérôme Dupras, professeur au département des sciences naturelles de l'Université du Québec en Outaouais.

Captation du carbone, pollinisation, drainage, corridors biologiques, contrôle des espèces envahissantes, lutte contre les îlots de chaleur - les « services écosystémiques » que peut rendre la végétation sont nombreux.

« L'un des services importants, majeurs, c'est la décontamination », illustre Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki et membre du conseil d'administration de la Société québécoise de phytotechnologie.

Les végétaux « sont excellents pour capter et décontaminer » tout ce qui ruisselle sur nos routes, explique-t-elle : essence, huile, métaux provenant des plaques de frein et caoutchouc des pneus.

La végétation rend des services même en hiver, souligne Jérôme Dupras, expliquant que des haies brise-vent ont « un gros impact sur la neige, la poudrerie », ce qui donne « des routes plus sécuritaires et des coûts d'entretien moindres ».

Louise Hénault-Éthier imagine des routes bordées au premier plan d'herbacés, « pour des raisons de sécurité », puis d'arbustes et enfin, en retrait, d'arbres qui pourraient filtrer la poussière, étouffer le bruit et capter le carbone.

Ce reboisement « pourrait même être une source de revenus, en générant des crédits carbone », affirme Jérôme Dupras.

Yves Bédard est consterné de voir que le Ministère « manque des occasions » de faire mieux même dans ses plus récentes réalisations.

Dans le secteur de « la nouvelle [autoroute] 30, les berges sont immenses », mais elles ne sont pas valorisées, déplore-t-il, alors que « ce sont des aires agricoles avec de super bons sols ».

CONTRER LES « DÉSERTS BIOLOGIQUES »

Il faut « penser territoire, pas penser autoroute », résume Gérald Domon, directeur scientifique de la Chaire en paysage et environnement de l'Université de Montréal. « Ce serait un gros plus au chapitre de la biodiversité. »

Le professeur, qui a contribué à l'étude commandée par le ministère des Transports et au projet pilote qui ont donné naissance à la GEV, en 1998, croit qu'« on peut faire beaucoup mieux ».

M. Domon recommande notamment le recours aux fleurs pour des raisons esthétiques et, surtout, de pollinisation.

Yves Bédard abonde en ce sens et souligne que les plantes pollinisatrices manquent cruellement dans les territoires où sont cultivés maïs et soja transgéniques, « des plantes résistantes au Roundup », l'herbicide controversé à base de glyphosate qui élimine les autres végétaux.

Les autoroutes qui traversent ce qu'il qualifie de « déserts biologiques » pourraient ainsi devenir des « corridors biologiques ».

- Avec William Leclerc, La Presse

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Évolution des coûts liés à l'entretien des espaces vers le long des autoroutes du Québec (en millions de dollars)

2009 : 4,4

2010 : 4,8

2011 : 5,3

2012 : 4,7

2013 : 4,7

2014 : 5,3

2015 : 6,6

2016 : 6,0

2017 : 5,4

Moyenne : 5,2

Source : Ministère des Transports du Québec

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Les normes sont révisées « constamment »

Malgré une demande d'entrevue faite il y a deux semaines, La Presse n'a pas pu s'entretenir avec un spécialiste de la gestion des espaces verts de Transports Québec. La GEV « s'applique de plus en plus systématiquement », a cependant affirmé Gilles Payer, un porte-parole du Ministère, ajoutant qu'« il y [avait] une volonté » de gérer les espaces verts le plus écologiquement possible. « Les normes sont constamment réévaluées » afin d'être « toujours le plus à jour ».

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Stabiliser avec de la végétation

L'utilisation de la végétation pour stabiliser les pentes abruptes, près de ponts et de ponts d'étagement par exemple, est une technique qui gagnerait à être utilisée davantage, croit Louise Hénault-Éthier. Elle note que c'est « le ministère des Transports qui en fait le plus au Québec », mais elle recommande de « standardiser » la pratique. « Parfois, on fait de l'enrochement trop agressif, trop étendu. La végétation a beaucoup de difficulté à revenir, même après des décennies, dit-elle. Il faut faire un peu plus confiance aux ouvrages de génie végétal. »