Le gouvernement Couillard espère convaincre le premier ministre ontarien Doug Ford de rester dans le marché du carbone. La ministre de l'Environnement, Isabelle Melançon, prépare une offensive de charme auprès du nouveau gouvernement conservateur.

En entrevue, la ministre a confirmé qu'elle suit de près la situation à Queen's Park. Son objectif est clair : convaincre le gouvernement Ford de ne pas donner suite à sa promesse de se retirer du marché du carbone.

« Dès que le conseil des ministres sera formé, je parlerai directement avec mon vis-à-vis pour pouvoir lui présenter les bénéfices de notre côté de ce marché du carbone », a indiqué la ministre.

Mme Melançon compte notamment faire valoir que la sortie du marché du carbone ne peut se faire en un clin d'oeil.

« Ce n'est pas aussi simple, on ne peut pas le faire en claquant des doigts. Il y a des signatures, il y a des traités internationaux qui sont en cause. » - Isabelle Melançon, ministre de l'Environnement

Un tel scénario ne serait d'ailleurs pas nécessairement à l'avantage de l'Ontario, croit la ministre. La dernière vente aux enchères de droits d'émission, en mai, a rapporté plus de 470 millions au gouvernement ontarien. Depuis qu'elle a lancé son marché du carbone, en 2017, la province a levé 2,9 milliards.

Au Québec, les recettes des encans se retrouvent dans le Fonds vert, qui finance des initiatives de réduction des GES, surtout dans le domaine des transports. Mme Melançon entend vanter cette stratégie dans ses échanges avec le gouvernement ontarien.

« Nous allons continuer de discuter avec eux pour leur dire quels sont les bénéfices et leur démontrer que chez nous, ça fonctionne, qu'en Californie ça fonctionne, et qu'il y a d'autres États fédérés qui sont intéressés à notre marché aussi », a-t-elle dit.

La ministre rappelle au passage que le gouvernement fédéral va bientôt imposer une taxe sur le carbone à l'ensemble du pays. La mesure ne touchera pas les provinces qui, comme le Québec et la Colombie-Britannique, ont déjà mis en place un mécanisme de tarification du carbone.

Le gouvernement Trudeau a fait savoir que la taxe s'établira à 50 $ pour chaque tonne de GES émise en 2022, une somme beaucoup plus élevée que celle qui a cours dans le marché du carbone du Québec, de l'Ontario et de la Californie.

RÉSISTANCE

Voilà pourquoi plusieurs observateurs s'attendent à ce que le gouvernement Ford se bute à une résistance inattendue s'il met sa promesse électorale à exécution.

« Même les industries, qui reçoivent en grande partie des droits d'émission gratuits, vont résister, je crois, a indiqué Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal. Elles savent qu'un autre système de prix du carbone viendra tôt ou tard et elles connaissent déjà ce système. Je crois qu'elles vont préférer une contrainte qu'elles maîtrisent déjà à une autre incertaine. »

Le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin, a abondé dans le même sens. Il s'attend toutefois à ce que l'élection de Doug Ford envoie un mauvais message aux États qui, comme le Mexique et même la Chine, envisage de rejoindre le marché du carbone auquel participent le Québec et la Californie.

« On risque de perdre une locomotive dans la lutte contre les changements climatiques, un peu comme on a perdu l'administration américaine avec l'arrivée de Trump aux États-Unis, a indiqué M. Bonin. Dans la dynamique, dans l'urgence climatique et la crise qui nous pend au bout du nez, c'est un recul qui commande aux autres gouvernements de redoubler d'ardeur. »

Le Système de plafonnement et d'échange de droits d'émission des gaz à effet de serre (SPEDE), le nom officiel du marché du carbone, est la pièce maîtresse du gouvernement québécois en matière de lutte contre les changements climatiques. Lancé en 2013, il a été fusionné au marché de la Californie en 2014. L'Ontario s'est jointe au programme début 2018.

Depuis qu'il a pris la barre du Parti progressiste- conservateur, M. Ford n'a jamais caché son désir de voir l'Ontario quitter le programme. Selon lui, cette bourse contribue davantage à la réduction de GES au Québec et en Californie qu'en Ontario.