Deux importantes entreprises ontariennes ont demandé récemment à être accréditées pour recevoir des sols contaminés québécois dans la foulée d'un projet pilote de « traçabilité » des sols excavés à Montréal. Leur participation laisserait entrevoir la fin éventuelle d'un système controversé grâce auquel des entrepreneurs d'ici font « disparaître » leurs sols de l'autre côté de la rivière des Outaouais.

C'est ce qu'a révélé hier Jean Lacroix, président de Réseau Environnement, lors d'une conférence de presse à Rosemont sur les terrains des anciennes usines Angus, aux côtés de la ministre de l'Environnement Isabelle Melançon.

Au Québec, la loi force les entrepreneurs à envoyer leurs sols contaminés à des sites de traitement ou d'enfouissement accrédités, qui doivent répondre à des normes strictes et qui coûtent cher.

Depuis plusieurs années, certains entrepreneurs ont trouvé une astuce : envoyer les sols en Ontario, où les autorités québécoises n'ont pas autorité pour vérifier ce qu'on en fait.

Plusieurs sites tout près de la frontière québécoise sont utilisés à cette fin.

La Presse a déjà révélé que la Sûreté du Québec avait mené des perquisitions en Ontario parce qu'elle soupçonnait que certains entrepreneurs québécois mentaient en affirmant que les sols avaient quitté le Québec, alors qu'ils avaient en fait été jetés illégalement sur des terres agricoles.

SYSTÈME VOLONTAIRE

Le Réseau Environnement, un regroupement d'entreprises, de municipalités et d'organismes publics ou parapublics, a lancé l'an dernier un système volontaire de traçabilité des sols contaminés, Traces Québec, qui permet de suivre à la trace les chargements de sols contaminés, du point d'origine à la destination.

En mars, le ministère de l'Environnement et la Ville de Montréal avaient annoncé que le système serait testé dans le cadre de travaux publics à Outremont. Hier, la ministre Melançon a annoncé que l'expérience serait étendue aux travaux de décontamination menés au Technopôle Angus.

Le bilan de ces expériences permettra de déterminer si le gouvernement pourrait imposer l'utilisation d'un système de traçabilité pour tous les contrats publics, un jour.

Le message s'est rendu jusqu'en Ontario. Jean Lacroix refuse de donner des noms, mais il dit avoir été contacté par deux entreprises ontariennes qui souhaiteraient avoir une accréditation pour pouvoir recevoir des sols dans le cadre de projets qui participent à Traces Québec.

DEMANDES SUSPENDUES

« Pour participer, il faut fournir un certificat d'autorisation du gouvernement du Québec, et la liste des infractions passées de l'entreprise, s'il y en a eu. Eux, ils n'ont pas ça, en Ontario, donc leur demande a été suspendue. Mais je leur ai dit de faire leurs représentations de leur côté, en espérant qu'on puisse avoir une compatibilité entre les deux provinces. Il devrait y avoir une rencontre entre les sous-ministres à cet effet », affirme M. Lacroix.

La ministre Melançon confirme que le gouvernement du Québec travaille avec le gouvernement ontarien pour essayer d'harmoniser les pratiques. « Ils sont très intéressés par Traces Québec », se réjouit-elle.

« Une fois qu'on va savoir exactement ce qui sort du Québec, et où ça s'en va, on va pouvoir poser des questions », dit-elle.

En commission parlementaire récemment, le député péquiste Sylvain Gaudreault avait plutôt enjoint à la ministre d'exiger que tous les sols contaminés excavés au Québec soient traités au Québec à un site accrédité. « C'est une question de nationalisme économique, de nationalisme environnemental !  », a-t-il plaidé.

La ministre réplique toutefois qu'une province n'a pas le pouvoir de bloquer la circulation des biens et marchandises vers une autre province.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Isabelle Melançon, ministre de l'Environnement