L'un des grands engagements du gouvernement fédéral envers l'Organisation des Nations unies (ONU) risque de demeurer à l'état de belles paroles si Ottawa ne prend pas de mesures concrètes pour le respecter.

«C'est toujours préoccupant lorsqu'un gouvernement vous dit qu'il va faire quelque chose et qu'il ne le fait pas», a déclaré la commissaire à l'environnement, Julie Gelfand, en conférence de presse, mardi.

Dans l'un de ses trois rapports annuels, elle note que, sans corriger le tir, le Canada ne sera pas en mesure d'atteindre les 17 objectifs de développement durable qu'il s'est engagé à mettre en oeuvre à deux reprises depuis 2015. Le premier ministre Justin Trudeau, lui-même, avait réitéré cette promesse lors de son passage devant l'Assemblée générale de l'ONU en septembre 2017.

Pourtant, les cinq ministères chargés de l'atteinte de ces objectifs d'ici 2030 n'ont pas élaboré de cibles nationales ni de système pour faire le suivi. Mme Gelfand remarque l'absence de structure pour coordonner les efforts des ministères des Affaires autochtones et du Nord, des Affaires mondiales, de la Condition féminine, d'Emploi et Développement social ainsi que de l'Environnement et du Changement climatique.

«On a vu cinq ministères et agences établis comme le leader, mais tout d'un coup t'as dix mains sur le volant, a-t-elle imagé. Je ne sais pas comment on va conduire l'auto, qui est le leader spécifiquement.»

Seul un comité interministériel informel réunissant des directeurs généraux a été créé, mais il ne possède pas de mandat officiel et ne produit ni procès-verbaux ni rapports.

La commissaire, qui a effectué cette vérification en novembre 2017, remarque toutefois que le gouvernement a indiqué dans son dernier budget qu'il allait attribuer 49,4 millions sur 13 ans à compter de 2018-2019 pour effectuer un suivi approprié. Statistique Canada doit, par ailleurs, lancer un portail en ligne ce printemps pour évaluer la performance canadienne face aux 232 indicateurs de l'ONU pour mesurer l'atteinte des 17 objectifs.

«Vraiment, cette stratégie-là est en train de se mettre en place», a réagi la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, en précisant que le gouvernement allait présenter un premier rapport à l'ONU en juillet.

Les objectifs de développement durable auxquels souscrivent les 193 États membres de l'ONU touchent une panoplie de secteurs tels que l'élimination de la pauvreté, de la faim dans le monde, l'accès à l'eau potable, la réduction des inégalités ou la lutte contre les changements climatiques.

Pas assez d'efforts pour la biodiversité

La commissaire à l'environnement fait un constat similaire pour les objectifs canadiens de protection de la biodiversité. Mme Gelfand rappelle que le gouvernement fédéral s'est encore une fois engagé auprès de l'ONU en signant la Convention sur la diversité biologique en 1992, mais qu'il peine à atteindre les 19 objectifs nationaux qu'il s'est fixés en 2015, soit 23 ans plus tard. Quatorze de ces 19 cibles font partie des objectifs de développement durable.

Mme Gelfand pointe le manque de leadership du ministère de l'Environnement et du Changement climatique qui n'assure pas une coordination efficace des mesures nécessaires pour atteindre ces cibles d'ici l'échéance fixée par l'ONU en 2020.

«Le Ministère a axé ses efforts sur des activités administratives générales, comme la représentation du Canada aux réunions internationales, la création de comités nationaux et la coordination des rapports nationaux», écrit-elle dans son rapport.

Cette présence canadienne lors de rencontres internationales aboutit à peu de concret. «Ils ont défini leur rôle de leader très étroitement, donc ils font des réunions, participent à la Convention, mais on n'a pas trouvé beaucoup de résultats spécifiques», a indiqué Mme Gelfand en conférence de presse.

Elle note toutefois que deux cibles ont été atteintes, soit de dresser la liste de toutes les aires protégées et d'analyser la valeur des écosystèmes. Une troisième pour la protection des aires marines est en voie de l'être, mais le gouvernement en ratera d'autres comme celles sur les terres agricoles et la pollution de l'eau.

La ministre de l'Evironnement, Catherine McKenna, a rappelé mardi que le dernier budget fédéral prévoyait «un investissement historique» de 1,3 milliard sur cinq ans pour protéger les milieux naturels et les espèces menacées.

Aquaculture risquée

Pêches et Océans Canada peine à surveiller adéquatement l'élevage du saumon, une industrie en pleine croissance au Canada, ce qui pourrait contaminer les bancs de poissons sauvages dont les stocks diminuent, signale la commissaire à l'environnement.

«Notre audit a démontré des lacunes importantes, a-t-elle déclaré. Ça me rend gravement inquiète.»

Le ministère est à risque, selon elle, de se faire accuser de prioriser l'aquaculture au lieu de la protection des espèces sauvages.

Mme Gelfand remarque une incapacité à faire respecter la réglementation en vigueur alors que l'impact de l'aquaculture sur les poissons sauvages est peu connu. Elle conclut que le ministère a mal évalué les risques de propagation des maladies et des parasites des saumons d'élevage aux poissons sauvages. Les poissons d'élevage grandissent à l'intérieur de grands filets disposés dans l'océan Pacifique et dans l'océan Atlantique.

Le ministre des Pêches et des Océans, Dominic LeBlanc, a assuré que son gouvernement se préoccupait d'abord de la protection des poissons sauvages. «Nous allons évidemment continuer et accélérer nos investissements que ce soit en science, dans la protection de l'environnement, les règlements de l'aquaculture pour nous assurer qu'il n'y ait pas d'impact sur le saumon du Pacifique ou de l'Atlantique», a-t-il dit.

Le gouvernement accepte les recommandations de la commissaire qui appelle Pêches et Océans Canada et l'Agence canadienne d'inspection des aliments à clarifier leurs rôles pour la gestion des maladies émergentes. Le ministère devrait également mieux contrôler les médicaments et les pesticides qui sont rejetés dans les océans et établir des normes pour prévenir les évasions de saumons d'élevage et éviter qu'ils ne se reproduisent avec des saumons sauvages. Le phénomène pose un risque particulier dans les provinces de l'Atlantique.