La Société des alcools du Québec (SAQ) contre-attaque et le mouvement anticonsigne s'organise. Une étude réalisée pour le compte de la SAQ insiste sur les coûts importants de la mise en place des infrastructures nécessaires à l'application d'une consigne pour les bouteilles de vin. Sur cinq ans, c'est près de 250 millions qui devraient être injectés pour gérer les bouteilles de la SAQ.

On estime à 115 millions la facture pour le réseau de dépôts et de stands où transiteraient les 200 millions de bouteilles que vident chaque année les Québécois. Sans compter des coûts d'exploitation annuels de 27 millions.

En outre, un clin d'oeil aux environnementalistes entichés de la consigne, le transport supplémentaire qu'entraînerait la multiplication de ces dépôts sur le territoire - tant par la clientèle que par les camions nécessaires pour transporter les bouteilles récupérées - engendrerait 35 000 tonnes de CO2 par année, indique l'étude.

«Et les coûts seraient bien plus importants si la consigne était faite dans nos établissements. Ce ne serait pas possible parce qu'on a des baux sur 10 ou 15 ans qu'il serait coûteux de renégocier. Ce serait beaucoup trop complexe», explique Jean Vincent Lacroix, directeur des affaires publiques à la société d'État.

L'étude visait à vérifier ce qui se passerait si le Québec reprenait le modèle appliqué dans d'autres provinces. Dans aucune d'elles le réseau de vente de spiritueux n'est utilisé pour récupérer les bouteilles. Le centre de dépôt ou les stands seraient placés à des endroits moins coûteux. On prévoit aussi que les employés seraient rétribués au salaire minimum.

Stands de récupération

Pour le compte de la SAQ, la société LIDD Intelligence Supply Chain a présenté le 20 février dernier son étude, que La Presse a obtenue. On y présente une «nouvelle infrastructure de récupération» qui sortirait la consigne des bouteilles de la SAQ des commerces existants. On y présente même des photos de dépôts et de stands potentiels - ces derniers sont en fait des conteneurs tristounets où un préposé recueillera les bouteilles qu'on lui apporte.

En filigrane, on comprend que les épiceries et les grandes surfaces qui ne veulent pas se retrouver à appliquer une consigne supplémentaire sont inquiètes des signes donnés, à l'interne, par le ministre de l'Environnement David Heurtel, clairement acquis à la consigne pour les bouteilles de la SAQ. La société d'État ne veut pas davantage de la consigne, qui suppose de manutentionner les bouteilles vides de ses produits. Cette avenue est difficile à appliquer dans bien des locaux trop exigus, et contraire à la relation conviviale qu'elle veut établir avec ses clients dans l'ensemble de ses points de vente, indique-t-on à l'interne. Les adversaires de la consigne pousseront pour qu'on améliore les centres de tri, afin de les rendre plus efficaces et d'assurer du verre de meilleure qualité au bout de la chaîne de récupération. Cette option serait économiquement beaucoup plus intéressante, laisse-t-on entendre. Les consommateurs continueraient à mettre leurs bouteilles au bac de recyclage, mais c'est lors du tri que le processus serait amélioré.

L'étude privilégie un scénario dans lequel une combinaison de dépôts et de stands, sans liens avec les établissements de la SAQ, servirait à la récupération sélective des bouteilles de verre. L'étude retient comme hypothèse la plus avantageuse la mise en place de 522 centres de récupération sur le territoire. Il faudrait prévoir 39 millions pour les centres de récupération et 9 millions pour les centres de transbordement.

Selon la surface allouée, les dépôts pourraient traiter de 14 000 à 40 000 bouteilles par semaine. Les stands en traiteraient 14 000 et moins. Dans tous ces points, un employé serait responsable de payer la consigne sur les bouteilles - actuellement, les embouteilleurs paient des redevances aux municipalités pour le traitement de leurs bouteilles vides, récupérées dans les bacs de recyclage. Pour les disciples de la consigne, la récupération actuelle est inefficace, puisque le verre y est contaminé par une foule d'autres produits.

Lidd a élaboré un scénario où on ne trouverait que 221 dépôts sur le territoire, ce qui ferait grimper à 10 km la distance moyenne entre les points de vente et l'endroit pour disposer des bouteilles - «des niveaux qui risquent de limiter le taux de participation». Avec 522 dépôts, on s'approche du nombre de succursales de la SAQ; il y aurait un centre pour 15 700 citoyens, tout près de la moyenne des provinces canadiennes qui appliquent la consigne.

Dans les autres provinces

L'étude fait un tableau comparatif des autres provinces. Avec ses «Beer stores» responsables de récupérer les bouteilles de la LCBO, l'Ontario a 835 dépôts, soit une moyenne d'un centre pour 16 000 citoyens. Avec 212 dépôts, l'Alberta a un centre pour 19 000 clients.

Il se vend 40,5 millions de bouteilles de vin de plus de 750 millilitres à Montréal chaque année - une part importante des 180 millions par année pour tout le Québec. La valeur des ventes est de 773 millions pour Montréal et de 3,1 milliards pour l'ensemble du Québec.

La consigne des bouteilles de vin ailleurs sur la planète

Si le Québec envisage de mettre en place une consigne pour la récupération de bouteilles de vin, d'autres ont déjà réglé la question. La plupart des provinces du pays ont un système pour réutiliser les bouteilles, tout comme une dizaine d'États américains.

Au Canada

Le Québec et le Manitoba sont les deux seules provinces canadiennes où les bouteilles de vin ne sont pas consignées. En Ontario, par exemple, le gouvernement oblige les magasins The Beer Stores, un oligopole de brasseurs, à reprendre les bouteilles vides. Même les territoires éloignés comme le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest ont emboîté le pas. En Alberta, la province a décidé de consigner à peu près tout ce qui contient des boissons, de la bouteille de bière au contenant de lait. Au Québec, on dit qu'environ 80 % des contenants en verre non consignés sont des bouteilles vendues par la SAQ. La plupart du temps, elles se cassent tout au long de la chaîne de tri, ce qui contamine les autres matières recyclables. Les partisans de la consigne croient que cela permettrait un tri plus efficace, ce qui en augmenterait sa valeur.

En France

La France a abandonné son système de récupération des bouteilles de verre au début des années 80. Mais certaines régions ont pris des initiatives, comme l'Alsace, connue pour sa production de vin blanc. Depuis 2009, des magasins se sont dotés de machines qui détectent les bouteilles à l'aide d'un système informatisé de caméra. Les clients rapportent leur bouteille et reçoivent ensuite un crédit pour leurs achats. Le pays projette toutefois de relancer un projet de consigne. L'idée a été proposée au Conseil de Paris, en juillet 2013, par quelques conseillers de gauche.

Ailleurs dans le monde

Dans plusieurs pays d'Europe, notamment en Belgique, en Suisse et en Finlande, la bouteille de vin consignée doit être rapportée. Aux États-Unis, seulement une dizaine d'États ont des lois visant à recycler les bouteilles de verre. Parmi ceux-ci, les États de New York, du Vermont et d'Hawaï. D'autres n'ont toutefois pas réussi à adopter une telle loi, notamment le Texas en 2011.

- Jasmin Lavoie