Le projet de gazoduc et d'usine de gaz naturel liquéfié (GNL) au Saguenay, conjugué à d'autres projets en cours, pourrait mettre en péril la survie du béluga, une espèce déjà en voie de disparition, soutient un groupe de recherche scientifique.

Le Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM) plaide pour une évaluation de l'impact conjugué de tous les projets de transport maritime actuellement sur la table, des projets qui devraient être retardés.

La revendication du GREMM va dans le même sens qu'un rapport du ministère de l'Environnement dont le ministre Benoit Charette s'est publiquement dissocié. Cette synthèse de 272 pages résumait les consultations publiques tenues pendant un mois, du 19 décembre 2018 au 18 janvier 2019, sur le projet de Saguenay appelé Gazoduq.

Gazoduq consiste en la construction d'un gazoduc de 750 km qui s'étendrait de l'Ontario jusqu'à une usine de liquéfaction à Saguenay, pour acheminer ensuite le GNL en Europe.

« Effets cumulatifs »

Une des observations énoncées dans le rapport est l'« évaluation des effets cumulatifs », c'est-à-dire qu'il ne faudrait pas analyser isolément l'impact du projet Gazoduq, mais plutôt son addition avec d'autres projets, notamment Ariane Phosphate et Métaux BlackRock, parce que le trafic maritime augmenterait ainsi au total de 300 % sur le Saguenay, et de 10 % dans l'estuaire.

« C'est inquiétant pour l'habitat essentiel du béluga » que les gouvernements se sont pourtant engagés à protéger, a expliqué le directeur scientifique du GREMM, Robert Michaud, dans une entrevue avec La Presse canadienne publiée dimanche.

En effet, cette hausse considérable de la navigation entraînera une augmentation du bruit, alors que le béluga est un animal « essentiellement acoustique », qui dépend du son pour s'orienter et trouver sa nourriture. De même, le stress causé par le bruit a des « conséquences » néfastes sur ses fonctions vitales, comme le système immunitaire et le système reproducteur.

« Le bruit fait de l'interférence avec chacune de ses activités », a résumé M. Michaud.

« Patience et prudence »

Il a lancé un appel à la « patience et à la prudence », soit d'attendre encore quelques années avant d'autoriser les grands chantiers comme Gazoduq, le temps que des projets de recherche financés par Québec et le fédéral actuellement en cours soient complétés.

« Avant d'avoir complété cet exercice, il me semble périlleux d'accepter à la pièce un et l'autre des projets, parce qu'éventuellement, on va être pris avec l'ensemble dans tout l'habitat essentiel. [...] Je ne pense pas que les bélugas puissent soutenir un développement tous azimuts. »

Le premier ministre François Legault a déjà affirmé qu'il était ouvert au projet Gazoduq au Saguenay en rappelant qu'il représente des milliers d'emplois payants.

Ironiquement, le chef caquiste a visité durant la campagne électorale le Centre d'interprétation des mammifères marins de Tadoussac, qui est relié au GREMM. Il avait apprécié la visite guidée et avait manifesté son intérêt.

« Rouge clignotant »

Il y avait entre 7000 et 10 000 bélugas dans le Saint-Laurent vers la fin du XIXe siècle, et que malgré les efforts de conservation des 30 dernières années, la population stagne actuellement à 1000.

« Toutes les lumières étaient au rouge, et maintenant elles sont au rouge clignotant », a déploré le directeur scientifique.

« C'est malheureux que le béluga devienne un empêcheur de tourner en rond, a-t-il conclu. On entend chaque mois que la biodiversité est menacée. Le problème des bélugas n'est pas isolé, il nous ramène au défi de la cohabitation. Ce n'est pas un enjeu temporaire, c'est pour les 60, 100 ou 300 prochaines années. »