Aucun plan d'action n'a été mis en oeuvre par Ottawa pour protéger le béluga de l'estuaire du Saint-Laurent durant les 12 années où il était considéré comme une espèce menacée. Il est maintenant en voie de disparition.

C'est l'un des exemples les plus frappants de l'inaction du gouvernement fédéral contenus dans le rapport de la commissaire à l'environnement dévoilé mardi. Julie Gelfand a analysé les gestes posés entre le 1er janvier 2012 et le 1er juin 2018 par les ministères des Pêches, de l'Environnement, des Transports et de Parcs Canada pour protéger les mammifères marins.

«Le gouvernement est en retard pour presque toutes les espèces», a-t-elle signalé en conférence de presse.

Le constat est sans équivoque: Ottawa peine à appliquer sa propre Loi sur les espèces en péril.

«C'est catastrophique parce que les gouvernements conservateurs et libéraux n'ont pas pris au sérieux la protection de cette espèce-là», a dénoncé le député néo-démocrate Alexandre Boulerice.

Il déplore que le gouvernement Trudeau ait agi seulement après la mort de 12 baleines noires dans les eaux canadiennes en 2017.

«Il faut un plan d'action pour être capable de faire de la prévention», a-t-il ajouté.

Présentement, seulement trois des 14 espèces menacées ou même en voie de disparition sont protégées adéquatement contre la navigation maritime et la pêche commerciale, constate la commissaire. Or, certains de ces mammifères sont sur la liste des espèces en péril depuis plus de dix ans et auraient dû faire l'objet de mesures de protection un ou deux ans après leur désignation.

Le béluga a été inscrit sur la liste des espèces menacées en 2005, mais Pêches et Océans Canada n'a jamais finalisé le plan d'action. L'état de sa population s'est dégradé et il a été inscrit sur la liste des espèces en voie de disparition en 2017. Le gouvernement fédéral a depuis limité la vitesse du transport maritime pour le protéger.

C'est l'une des mesures appliquées par Ottawa en 2017 après la mort des 12 baleines. Ces mesures «réactives, limitées et tardives» pour limiter la pêche commerciale et réduire la vitesse du transport maritime visent seulement trois espèces: les épaulards du sud qui vivent au large de la Colombie-Britannique, les baleines noires de l'Atlantique Nord et le béluga de l'estuaire du Saint-Laurent.

«Est-ce que c'est trop tard? a demandé Mme Gelfand. Est-ce que c'est trop peu? Ça c'est la question.»

L'épaulard du sud qui vit au large de la Colombie-Britannique ne compte plus que 74 individus. Il est sur la liste des espèces en péril depuis 15 ans. À titre comparatif, le béluga de l'estuaire du Saint-Laurent, également en voie de disparition, compte entre 900 et 1300 individus, selon le registre public des espèces en péril.

«Ce sont des mesures qui vont s'adresser (sic) à toutes les espèces marines parce qu'elles touchent différents domaines, non seulement la réduction du bruit sous-marin, mais aussi les questions environnementales - les contaminants qui se retrouvent dans l'eau et l'accès de nourriture», a fait valoir le ministre des Transports, Marc Garneau.

Il ajouté que son gouvernement «va surveiller de près toutes les espèces marines afin de les protéger».

«J'ai hâte de voir le rapport de la commissaire dans quelques années là-dessus, a ironisé la députée bloquiste Monique Pauzé, sceptique. (...) Faudra voir.»

Ces nouvelles initiatives sont ponctuelles, mais le gouvernement tarde à se doter de «mécanismes durables», note la commissaire. Ce «changement d'approche» pourrait toutefois porter fruit pour les trois espèces visées.

Pour la chef du Parti vert, Elizabeth May, les conclusions du rapport pointent vers un manque criant d'employés.

«Ils ont besoin de combler des postes au sein du Service canadien de la faune avec des gens compétents pour élaborer des plans de redressement à temps et coordonner leurs efforts avec d'autres agences», a-t-elle indiqué.

Les conservateurs n'ont pas commenté le rapport de la commissaire à l'environnement.

Aires marines inefficaces

Les aires marines censées protéger les mammifères marins atteignent très peu leur objectif, constate également la commissaire à l'environnement. Elle note que les besoins écologiques des espèces ne sont pas systématiquement considérés lorsque vient le temps d'en créer de nouvelles.

Parmi ces besoins, il y a «la vaste superficie de leurs aires de migration».

Elle recommande, entre autres, au gouvernement de se doter d'une stratégie pour réduire les menaces posées par la pêche commerciale et la navigation. La commissaire cite en exemple le parc marin du Saguenay-Saint-Laurent où la circulation de navires est interdite durant l'été dans la baie Sainte-Marguerite.

Le bruit sous-marin causé par la circulation maritime, les collisions entre des navires et des baleines et les déversements d'hydrocarbure, appelés à augmenter avec la croissance économique, «pourraient entraver le rétablissement des populations de mammifères marins ou accélérer leur déclin, si ces menaces ne sont pas contrées adéquatement», prévient la commissaire.

C'est ce que craignaient des communautés autochtones et environnementalistes à qui la Cour d'appel fédérale a récemment donné raison en ordonnant une nouvelle évaluation environnementale du projet d'expansion de l'oléoduc Trans Mountain. La cour a jugé que l'Office national de l'énergie (ONÉ) avait occulté l'impact de la circulation de pétroliers sur le sort des épaulards du sud qui vivent au large de la Colombie-Britannique. Le gouvernement a donné moins de six mois à l'ONÉ pour refaire ses devoirs.

Le nouvel oléoduc qui suivrait le tracé d'un oléoduc déjà existant triplerait la quantité de pétrole des sables bitumineux de l'Alberta qui serait exportée par l'entremise des ports de Vancouver et de Burnaby. Le nombre de navires pétroliers passerait ainsi de cinq à 35 par mois, selon des estimations.