La biologiste Regina Asmutis-Silvia, qui a consacré sa carrière à la survie des baleines noires, fouille dans des dossiers datant des années 1990, et les documents racontent une histoire qu'elle connaît bien - les baleines meurent après avoir été heurtées par des navires ou s'être empêtrées dans du matériel de pêche commerciale, et l'espèce pourrait bien être condamnée.

Après 25 ans de progrès minimes, ça recommence.

«C'est un peu effrayant de se demander: si on n'y avait pas travaillé pendant toutes ces années, est-ce qu'elles auraient été confinées aux livres d'histoire au lieu de la baie de Cape Cod ?, lance Mme Asmutis-Silvia, qui travaille pour le groupe environnemental Whale and Dolphin Conservation, au Massachusetts. Nous sommes au bord du gouffre à nous dire: "C'est important, elles sont encore là, on a encore une raison de se battre."»

Même après huit décennies d'efforts de conservation, les baleines noires de l'Atlantique Nord sont confrontées à une nouvelle crise. La menace d'une extinction prochaine est bien réelle, et ceux qui veulent protéger les baleines cherchent de nouvelles solutions.

Les baleines noires de l'Atlantique Nord comptent parmi les mammifères marins les plus rares de la planète, avec une population d'environ 450 individus. Les bêtes de 4500 kilos étaient jadis encore plus menacées, et les efforts pour les sauver ont donné naissance à l'un des plus grands mouvements de conservation de l'histoire des États-Unis.

Mais leur population a recommencé à chuter en raison d'un taux faible de reproduction jumelé aux collisions avec des navires et aux enchevêtrements dans du matériel de pêche. Des scientifiques, des écologistes, les capitaines qui amènent les touristes les observer en mer et de simples amis des bêtes se mobilisent pour les sauver, même si certains admettent être au bord de la défaite.

Charles Mayo, qui dirige un programme consacré aux baleines noires au Centre des études côtières de Provincetown, au Massachusetts, et d'autres chercheurs préviennent que l'espèce pourrait disparaître dès 2041. M. Mayo, dont les ancêtres chassaient les baleines au large de Cape Cod aux 18e et 19e siècles, organise maintenant des expéditions pour les repérer et imaginer comment les sauver.

«Il y a beaucoup de tristesse en ce qui concerne ces créatures, dit-il. Elles sont maintenant au bord de l'extinction et leur avenir est vraiment incertain. Je ne pense pas que nous soyons découragés, mais plusieurs ont peur. Je sais que c'est mon cas.»

Le déclin des baleines noires a commencé avec les baleiniers il y a plusieurs siècles, quand leur lenteur et le fait qu'elles flottaient une fois tuées en ont fait des proies de choix (d'où leur nom de «right whale», en anglais, soit «la bonne baleine»). On les chassait pour leur huile et leur chair, et il n'en restait probablement plus que quelques dizaines quand on a décidé de les protéger en 1953.

Leur protection est devenue une cause internationale et on comptait quelque 275 individus en 1990, puis 500 vers 2010. Mais la tendance a alors commencé à s'inverser.

Un déclin de 10 % en huit ans

Les scientifiques ne comprennent pas exactement pourquoi les baleines noires ont perdu environ 10 % de leur population en seulement huit ans, mais certains pointent du doigt le réchauffement de l'Atlantique. Les baleines migrent de la Géorgie et la Floride vers les côtes de la Nouvelle-Angleterre et le golfe du Saint-Laurent chaque année, à la recherche de nourriture. Elles profitent d'un réseau complexe de zones protégées, de règles qui encadrent la navigation et de restrictions imposées à la pêche commerciale pour se déplacer en toute sécurité pendant qu'elles se gorgent de copépodes, des crustacés de la taille d'une puce.

Mais avec le réchauffement des eaux, ces petites créatures dont elles ont besoin pour survivre semblent se déplacer et les baleines les suivent, ce qui les met parfois en péril, explique Mark Baumgartner, chercheur à l'Institution océanographique Woods Hole. Elles peinent aussi à trouver assez de nourriture.

«Les baleines se déplacent beaucoup plus et elles ne trouvent pas de nourriture», a-t-il expliqué à des pêcheurs du Maine en mars.

L'an dernier, on a confirmé la mort de 17 baleines noires - 12 dans le golfe du Saint-Laurent, le reste aux États-Unis. Les chercheurs n'ont observé aucun nouveau baleineau cette année, un autre développement troublant.

Les défenseurs des baleines tentent de dialoguer avec les gouvernements des deux pays et les groupes de pêcheurs commerciaux, mais les discussions ne sont pas toujours faciles avec des industries qui craignent pour leur propre survie.

Lors de son allocution dans le Maine, M. Baumgartner a présenté une nouvelle technologie qui permet d'utiliser un modem pour repérer et récupérer les casiers à homards au fond de l'eau. Cela pourrait réduire le nombre de lignes fixes dans lesquelles les baleines s'empêtrent et s'étouffent.

Les pêcheurs de homards ont témoigné d'un scepticisme évident, l'un d'eux lançant au chercheur: «T'as déjà mis les pieds sur un navire de pêche au homard ?»

Des groupes environnementaux ont déposé cette année, devant un tribunal fédéral américain, une poursuite qui reproche aux National Marine Fishing Services des États-Unis de ne pas en faire assez pour protéger les baleines noires de l'équipement de pêche.

Certains militants demeurent optimistes. Le gouvernement canadien a récemment annoncé des mesures pour protéger les baleines noires, notamment en déplaçant les dates de pêche au crabe des neiges et en imposant une limite de vitesse permanente dans le golfe du Saint-Laurent.

Puis, pour la première fois depuis longtemps, des chercheurs ont observé cette année des mâles en train de se disputer des femelles, ce qui permet d'espérer la naissance de baleineaux.

«Elles peuvent s'en remettre. Tout n'est pas perdu pour cette espèce, a assuré Mme Asmustis-Silva. Il faut simplement cesser de les tuer.»