Le sort des espèces en péril au Canada devra-t-il dorénavant se régler devant les tribunaux ?

C'est la question soulevée en filigrane par la Société pour la nature et les parcs (SNAP) qui demande à la ministre fédérale de l'Environnement, Catherine McKenna, de protéger cette espèce en péril et de s'acquitter « sans délai » de ses obligations légales à l'endroit du caribou des bois à la grandeur du pays.

Faute de réponse positive de la ministre, la SNAP dit « envisager très sérieusement » un recours en Cour fédérale pour contester l'inaction d'Ottawa dans ce dossier.

Au cours des dernières années, une démarche similaire en Cour fédérale, qui invoquait elle aussi la Loi sur les espèces en péril, avait forcé le gouvernement fédéral à annoncer un décret d'urgence pour protéger l'habitat d'une minuscule grenouille, la rainette faux-grillon.

La décision avait réjoui les groupes environnementaux, mais provoqué un tollé au sein du monde municipal et dans l'industrie immobilière. Une éventuelle décision judiciaire concernant le caribou pourrait heurter de plein fouet l'industrie forestière qui totalise annuellement plus de 20 milliards de dollars au Canada.

Dans une lettre obtenue en exclusivité par La Presse, la SNAP demande à la ministre de formuler « dès maintenant votre opinion concernant l'état de la protection de l'habitat essentiel du caribou des bois - population boréale, puis de publier un rapport connexe ».

Le caribou des bois est une espèce menacée que les experts qualifient « d'espèce canarie » qui sert d'indicateur sur l'état de santé de la forêt boréale. On le retrouve dans sept provinces et deux territoires canadiens. Un plan de rétablissement de l'espèce a été publié en 2012, mais depuis, aucune mesure de protection n'a été mise de l'avant par Ottawa.

Caribou, forêt boréale et changements climatiques 

« Cette bataille est super importante pour faire progresser la protection des habitats des espèces en péril partout au Canada, avance Alain Branchaud, directeur de la SNAP pour le Québec. Le caribou des bois est essentiel à la forêt boréale, qui sont parmi les dernières grandes forêts intactes sur Terre. Si on protège le caribou, ça veut dire qu'on maintient en vie des écosystèmes dont l'importance est capitale pour la planète à l'heure des changements climatiques. »

La lettre signée par le directeur national de la SNAP, Éric Hébert-Daly, a été envoyée le 19 décembre dernier. L'organisme indiquait alors qu'il aurait aimé avoir une réponse avant le 1er février 2017, après quoi il se réservait « le droit de prendre des mesures juridiques appropriées ».

La ministre n'a jamais répondu à la demande de l'organisation environnementale ni même transmis un accusé de réception à la SNAP.

Le bureau de la ministre McKenna n'a pas donné suite également aux questions soumises par La Presse plus tôt cette semaine.

De son côté, Alain Branchaud, explique que la décision de recourir aux tribunaux n'est pas encore été officiellement prise, « mais s'il y a une démarche légale, ce sera en Cour fédérale », ajoute-t-il. « Nous sommes prêts, nous envisageons très sérieusement cette option. Nous avons un avocat qui nous conseille et nous avons documenté le dossier. »

Dans sa lettre du 19 décembre, le directeur national de la SNAP, Éric Hébert-Daly, rappelle aussi que son organisme a demandé à plusieurs reprises à la ministre et à ses fonctionnaires à ce que des rapports soient publiés en vertu de l'article 63.

La SNAP signale qu'en 2012, des 51 hardes [un regroupement de populations de caribous] identifiées dans le programme de rétablissement, seulement 14 ont été considérées comme autosuffisantes.

Selon Éric Hébert-Daly, « des données indiquent que des activités prévues ou déjà en cours perturberont vraisemblablement l'habitat du caribou forestier à l'échelle du Canada ».

Pour en savoir plus sur le caribou des bois :

https://www.sararegistry.gc.ca/species/speciesDetails_f.cfm?sid=636

Biodiversité : le Canada parmi les cancres

Le Canada fait piètre figure à l'échelle internationale en matière de protection de la biodiversité. Dans le dernier rapport du Social Progress Index, établi en 2016 avec l'aide du Harvard Business School et du Massachusetts Institute of Technology, le pays se classait au 90e rang mondial pour la protection des habitats et de la biodiversité.