C'est une algue rouge qui permet de fabriquer l'agar-agar, un gélifiant prisé des végétariens, mais au Chili, l'un de ses principaux producteurs mondiaux, elle est désormais menacée d'extinction après des années de surexploitation.

Sur la plage de Coihuin, dans le sud du pays, les pêcheurs-agriculteurs, aidés de vieilles carrioles tirées par des chevaux, sont en pleines semailles de l'algue Gracilaria chilensis, qui pousse dans le sable de cette baie caressée par les eaux froides de l'océan Pacifique.

Une fois transformée, l'algue donnera naissance à l'agar-agar, un gélifiant végétal utilisé en cuisine et dans l'industrie agroalimentaire pour faire des gelées, confitures, glaces et bonbons. Au cours des dernières années, elle a remporté un grand succès: les végétariens et les adeptes de religions interdisant la consommation de porc la préfèrent à la gélatine d'origine animale.

Le Chili, l'Espagne et le Japon, les trois principaux producteurs mondiaux,  représentent 60 % de la production mondiale, selon le gouvernement chilien et l'Organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

Le pays sud-américain en exporte chaque année 1800 tonnes, presque entièrement destinées au marché asiatique (Japon, Chine, Thaïlande).

Près de Puerto Montt, à environ 1000 kilomètres au sud de Santiago, l'algue rouge est au coeur d'une activité encore très artisanale, où l'on sème à la main, sans l'aide d'aucune machine.

«D'ici quinze jours, on pourra faire la première taille», explique Carlos Leiva, l'un des pêcheurs. «Après, on va faire encore deux ou trois récoltes jusqu'à février-mars», affirme le pêcheur.

Cette algue «a pour propriété de pouvoir vivre enterrée dans le sable», souligne Alejandro Buschmann, directeur du Centre de recherche et développement en ressources et environnements marins (i-mar). «Il y a très peu d'algues qui peuvent le faire, cela la rend unique», souligne-t-il.

Carlos Leiva se souvient avoir commencé enfant, comme la plupart de ses collègues, à récolter ces algues, mais depuis cette époque, la surexploitation a presque été fatale à l'un des grands produits d'exportation du pays.

Car si avant, il suffisait de se pencher pour ramasser cet «or rouge» qu'offrait généreusement la nature, désormais il est obligatoire de le semer d'abord.

Prix en chute

«Il y a des années, tout ça était rempli, (les algues) arrivaient jusqu'à nos genoux, même jusqu'à la ceinture», raconte, nostalgique, un autre agriculteur-pêcheur de Coihuin, Pedro Soto, en montrant l'immense étendue de sable où est cultivée l'algue.

«Il n'y avait pas un seul endroit» sans ces filaments rouges. «Cette année, il y en a moins», déplore-t-il.

«Pratiquement toutes les algues (rouges qui se trouvaient naturellement sur la côte sud-chilienne, NDLR) ont disparu», regrette aussi Alejandro Buschmann.

L'an dernier, une étude de la Faculté de sciences biologiques de l'Université catholique du Chili, en partenariat avec le CNRS français, a mis en garde contre le «danger d'extinction» de cette algue qui était déjà utilisée comme aliment ou traitement traditionnel il y a près de 15 000 ans, par les premiers habitants du sud du Chili.

La surexploitation n'est pas la seule en cause: un ver qui se nourrit de cette algue et les résidus polluants des fermes à saumon locales ont également mis en péril cette activité artisanale qui fait vivre actuellement quelque 2000 personnes.

«La pisciculture a fait que la plage s'est remplie d'excréments de saumons», pénalisant la production d'algues, explique Pedro Soto.

Les prix ont également chuté : le kilo mouillé de Gracilaria chilensis se vend environ 70 pesos (0,10 centime de dollars), contre 400 dans les années 1980.

Outre son usage dans le domaine alimentaire, l'agar-agar, qui est fabriqué à 65 % à partir de cette variété d'algues, est utilisée dans le cosmétique, les colorants textiles, l'industrie plastique... Le gélifiant est également populaire au Japon comme coupe-faim dans les régimes.

Le long de ses 4500 kilomètres de côtes, le Chili produit d'autres types d'algues, en exportant au total 6000 tonnes chaque année. En 2015, cette activité a généré 246 millions de dollars en exportations, selon l'Institut de la pêche (Ifop).