À peine une semaine après une dispute entre Ottawa et Québec au sujet d'une minuscule grenouille, la rainette faux-grillon, le sort d'une autre espèce pourrait bien mener à une nouvelle confrontation fédérale-provinciale. Le ministre fédéral des Pêches se prépare en effet à protéger l'habitat du béluga dans l'estuaire du Saint-Laurent alors que Québec songe à mettre en place un port industriel à Cacouna, en plein dans l'habitat de cette espèce menacée.

Une nouvelle menace pour le béluga ?

Selon Nature Québec, le projet de port industriel à Cacouna pourrait menacer la survie du béluga, une espèce en voie de disparition depuis 2014. Le secteur de Cacouna fait partie de l'habitat essentiel de l'espèce. Après l'abandon en 2014 du projet de port pétrolier de TransCanada à Cacouna, Nature Québec trouve « aberrant » que Québec revienne à la charge avec son nouveau projet. Michel Bélanger, avocat et président de Nature Québec, ne comprend pas cette « récidive » du gouvernement Couillard, d'autant plus qu'Ottawa vient d'annoncer son intention de protéger l'habitat du béluga. « Je ne sais pas trop où ils s'en vont avec ça. Est-ce un ballon politique ? »

Un projet de zone portuaire

Le gouvernement du Québec a annoncé le 21 juin qu'il accordait jusqu'à 125 000 $ en vue d'implanter un port industriel à Cacouna. Les sommes serviront à mettre en place un plan de développement qui sera piloté par un comité formé de divers intervenants locaux et régionaux et de représentants gouvernementaux. Les projets ne sont pas encore arrêtés, mais tout sera fait en respectant l'environnement, soutient Marc Lapointe, attaché de presse du ministre délégué aux Affaires maritimes, Jean D'Amour. « Aucun projet ne sera fait sans tenir compte des normes québécoises en environnement. On n'ira pas non plus contre le fédéral et ne pas respecter les lois. On est le gouvernement après tout. »

Ottawa prépare un arrêté ministériel

De son côté, le ministère fédéral des Pêches et des Océans a annoncé le 14 mai dernier un projet d'arrêté ministériel visant à protéger l'habitat essentiel du béluga dans l'estuaire du Saint-Laurent. Le Ministère mène présentement des consultations avant de rendre publique sa décision. Ottawa doit en effet se conformer à deux décisions de la Cour fédérale qui ont conclu en gros que la Loi sur les pêches n'avait pas préséance sur la Loi sur les espèces en péril. Ottawa a donc l'obligation légale de prendre les mesures nécessaires pour protéger le béluga. « La jurisprudence est claire, affirme Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP). L'habitat essentiel des espèces aquatiques désignées menacées ou en voie de disparition doit être protégé adéquatement par une loi fédérale. »

Moins de 1000 bélugas dans le Saint-Laurent

Il y aurait moins de 1000 bélugas dans le Saint-Laurent, selon un rapport du Comité sur la situation des espèces en péril du Canada (COSEPAC) produit l'an dernier. La mort de plusieurs nouveau-nés ces dernières années inquiète particulièrement les scientifiques. « Tous les voyants sont au rouge », affirmait Robert Michaud, président du Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins (GREMM) en 2014. Une hausse du trafic maritime dans l'estuaire aurait aussi des impacts sur les bélugas, selon que les bateaux naviguent du côté nord ou sud du Saint-Laurent.

Un comité pour éviter d'autres décrets

Rappelons qu'un groupe de travail fédéral-provincial a été formé dans la foulée du décret d'urgence annoncé par Ottawa pour protéger la rainette faux-grillon à La Prairie, en Montérégie. Le but du comité est « d'éviter les situations exigeant à l'avenir la prise d'un décret d'urgence en vertu de la Loi sur les espèces en péril ». Le comité a été formé officiellement en janvier 2016, et neuf rencontres ont eu lieu jusqu'à présent avec des représentants des deux ordres de gouvernement. Il n'a pas été possible de savoir si le dossier du béluga avait été abordé au cours de ces rencontres.