Il est minuit moins une pour la rainette faux-grillon à La Prairie. C'est du moins l'avis de groupes environnementaux qui demandent au ministre de l'Environnement, David Heurtel, de suspendre les autorisations pour des travaux imminents afin de réaliser un projet immobilier dans cette ville de la Rive-Sud de Montréal.

Trois organismes, soit Nature Québec, Ciel et Terre et la Vigile verte, demandent aux ministres David Heurtel (Développement durable, Environnement et Lutte aux changements climatiques) et Laurent Lessard (Forêts, Faune et Parcs) « une suspension immédiate des autorisations » à La Prairie où un projet résidentiel évalué à 300 millions de dollars menace une espèce en danger, la rainette faux-grillon. En vertu des autorisations délivrées par le ministère de l'Environnement du Québec, les travaux à La Prairie peuvent commencer dès le 1er juillet prochain.

En avril dernier, Nature Québec et le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) ont déposé en Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire afin d'obliger la ministre fédérale de l'Environnement, Leona Aglukkaq, à recommander un décret d'urgence pour protéger la rainette faux-grillon. Ottawa avait refusé quelques semaines plus tôt de considérer une telle mesure, affirmant que le projet de développement résidentiel à La Prairie ne menaçait pas « la possibilité de la présence de l'espèce ailleurs en Ontario et au Québec ».

« La ministre n'a pas respecté sa propre loi », affirme Christian Simard, directeur général de Nature Québec. Selon lui, « il y avait une absence totale d'arguments scientifiques » dans la réponse d'Ottawa. Il précise que les avocats du CQDE ont bon espoir de gagner cette cause en Cour fédérale, mais « ce sera une victoire pour les juristes qui pourra évidemment faire jurisprudence. Mais pour les écologistes, ce n'est pas souhaitable, puisque d'ici là, l'habitat de la rainette aura été détruit ».

Selon Christian Simard, il faudra probablement attendre un an avant de connaître la décision de la Cour fédérale. « Nous croyons que Québec a l'obligation morale de suspendre ces travaux tant que la décision de la cour n'est pas connue. »

Pour les écologistes, c'est l'ultime recours pour empêcher la disparition d'une espèce menacée à La Prairie. « Il faut que les autorités agissent rapidement, signale Tommy Montpetit, chargé de projet pour Ciel et Terre. Il est minuit moins une. » La grenouille mesurant moins de 4 cm est considérée comme une espèce vulnérable par le gouvernement du Québec. Au fédéral, elle a le statut d'espèce menacée depuis 2010.

Une méthode contestée

Le projet du Domaine de la nature prévoit un développement par phasage, qui permettrait à la rainette de se déplacer jusque dans la zone de conservation prévue par la Ville de La Prairie.  Sauf que cette méthode est contestée par plusieurs experts consultés par La Presse. Le ministère de l'Environnement admet par ailleurs ne pas avoir été en mesure « de valider l'effet réel de cette technique ».

Par ailleurs, La Presse signalait en février 2013 que Québec et Ottawa ignoraient les avis de leurs propres experts dans ce dossier. Un fonctionnaire qui travaille dans la région de la Capitale nationale avait affirmé à La Presse que les experts d'Environnement Canada avaient préparé un avis signalant que le projet domiciliaire allait entraîner la disparition de la rainette faux-grillon à La Prairie. « L'avis a été remis à la ministre, a-t-il précisé. Dans ce dossier, le fédéral et le provincial travaillent main dans la main pour ne rien faire. »

À Québec, les experts de l'équipe de rétablissement de la rainette faux-grillon ont transmis un avis, le 5 février dernier, à la sous-ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Nathalie Camden. Ce troisième avis depuis 2007 signalait à nouveau que les chances de survie de l'espèce sont faibles à La Prairie. Les experts de l'équipe de rétablissement ont obtenu un accusé de réception, mais toujours aucune réponse de la sous-ministre.

La Ville de La Prairie, elle, affirme qu'elle a été innovatrice dans ce dossier. « Cinquante pour cent du territoire sera protégé. Nous allons créer en collaboration avec Nature-Action Québec un parc de conservation de 80 hectares, une première au Québec », signale Jean Bergeron, directeur général de la municipalité.