Emmanuel de Mérode, aristocrate belge, africain blanc, directeur du parc des Virunga dans l'est du Congo, tente de protéger les derniers gorilles de montagne menacés par des combats qui opposent à sa porte rebelles et militaires.

Riche d'une diversité d'écosystèmes exceptionnelle, ce parc situé dans l'est du Congo est en butte à des groupes armés qui braconnent et tiennent à l'écart les touristes nécessaires au développement.

Son directeur, âgé de 42 ans, a dû lancer en septembre un appel aux dons privés via le site internet du parc (gorillacd.org) pour continuer à payer les «rangers» (garde-chasse) en l'absence de touristes.

«L'instabilité causée par la guerre présente une menace énorme pour le parc. Les périodes de conflits sont celles où le travail des garde-chasse est le plus dangereux et en même temps le plus nécessaire», y écrit-il.

Le jeune directeur a dû se retrancher début août une longue journée dans une cave avec tout le personnel, alors que l'armée congolaise et les rebelles du M23 s'affrontaient au mortier et à la roquette autour des bâtiments de l'Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN).

Le M23 a gagné. «Ils m'ont fait savoir qu'on n'était pas concerné par leur conflit», explique à l'AFP le directeur qui, malgré son allure juvénile, a autorité sur 270 gardes et autant de membres du personnel.

Les bâtiments, dont certains datent de l'époque coloniale, ne portent aucune trace des combats comme si, des deux côtés, on avait voulu préserver un bien commun.

Mais, regrette Emmanuel de Mérode, issu d'une dynastie princière belge, cette rébellion a porté un coup d'arrêt aux projets de développement mis en place depuis onze ans pour développer le tourisme, protéger la faune et améliorer les conditions de vie de la population locale.

Attirés par les okapis ou les gorilles du parc, les visiteurs étaient passés de 550 en 2009 à 3300 en 2011.

6.000 étaient espérés en 2013, qui auraient rapporté 1,5 million de dollars. La construction d'écoles, d'infirmeries était prévue car le tiers du chiffre d'affaires du projet revient à la communauté locale.

En raison des combats qui ont éclaté au printemps dans le secteur, le luxueux lodge (hôtel) qui permettait d'accueillir les touristes fortunés, est fermé depuis cinq mois.

Ses terrasses de bois installées au coeur de la forêt, sous la canopée sont désespérément vides, les coussins ont été rangés.

Construits en un an, la douzaine de bungalows, littéralement enchâssés dans la forêt, avaient été remboursés presque aussitôt grâce aux dons de leurs visiteurs. Plusieurs fondations contribuent généreusement au fonctionnement du parc.

Les visiteurs pouvaient partir escortés par des gardes à la recherche des gorilles, à la condition de ne pas les approcher à moins d'une dizaine de mètres et de ne surtout pas les toucher pour ne pas leur transmettre de microbes.

Un «sanctuaire» pour les orphelins gorilles

Près du centre, dans une enceinte électrifiée d'un hectare et demi appelée Senkwekwe (sanctuaire), trois jeunes femelles gorilles viennent prendre la pose devant le visiteur, se battent la poitrine. L'une grimpe jusqu'aux cimes des arbres.

Orphelines, elles ont été récupérées sur le corps de leurs mères tuées par des braconniers. Maïcha a 10 ans, Ndazi et Ndakazi, 5 ans.

Neuf précédentes tentatives de réinsertion ont échoué. Devenus adultes et rendus à la nature, les orphelins gorilles ont été tués par les mâles d'autres groupes.

Dernièrement, deux nouveaux orphelins sont arrivés, récupérés par les garde-chasse sur les marchés, où des braconniers tentaient de les vendre. Très jeunes, ils n'ont pas encore été mis en contact avec leurs trois aînées. Un garde les dorlote toute la journée et les nourrit au biberon.

«On disparaît pendant deux-trois mois et on retrouve sur le marché des bébés gorilles. Des collections privées en Extrême-Orient ou aux États-Unis sont intéressées», explique Emmanuel de Mérode dont le regard, d'habitude toujours souriant, se durcit.

Le plus vieux parc d'Afrique

Le parc des Virunga, plus vieux d'Afrique, date de 1925. Il s'étend sur 300 kilomètres et couvre 790 000 hectares le long de la frontière du Rwanda et de l'Ouganda. 480 gorilles des montagnes y ont été repérés, plus de la moitié de la population mondiale.

Profitant d'une accalmie dans les combats début août, une battue a été organisée avec l'accord des belligérants pour savoir ce que les grands primates étaient devenus. Dès les premiers jours, plus de la moitié ont été retrouvés avec deux naissances, un bon signe.

Mais dans le centre du parc, la milice FDLR, qui lutte contre le régime du Rwanda voisin, est soupçonnée d'avoir tué plusieurs éléphants et cinq hippopotames.

«Il suffit de quelques mois pour tout abattre et il faut 40 ans pour reconstituer», explique Emmanuel de Mérode, qui évoque les 27 000 hippopotames du lac Albert quasiment décimés jusqu'à n'être plus que 350. Placés sur la liste des animaux en danger, ils sont 1200.