La France s'est ralliée mercredi à une interdiction du commerce international du thon rouge, menacé de disparition, une décision qui pourrait faire basculer la position de l'Union européenne sur cette question sensible.

Paris a cependant demandé qu'une telle interdiction n'entre en vigueur que dans 18 mois, le temps de garantir un soutien européen aux pêcheurs.

Présentant la position française mercredi au côté de son homologue de l'Agriculture Bruno Le Maire, le ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo a évoqué une «décision lourde» mais «nécessaire, puisque la majorité des scientifiques pensent que la ressource est en danger».

L'annonce a aussitôt déclenché la colère des pêcheurs français, malgré les compensations promises.

«On va vers une grosse crise», a dit le président du Syndicat des thoniers méditerranéens, Mourad Kahoul, en réclamant «une réunion d'urgence» avec le président Nicolas Sarkozy.

«La position de la France est claire: nous soutenons Monaco dans le cadre européen», a indiqué M. Borloo devant <i><i>La Presse</i></i>.

La principauté a réclamé cet automne l'inscription du thon rouge à l'annexe 1 de la CITES, la Convention de l'ONU sur le commerce des espèces menacées, qui proscrit de facto le commerce international. Cette décision pourrait être prise dès le mois prochain à Doha.

La Commission européenne, favorable à cette interdiction, attendait la position française pour la reproposer aux États membres avec des chances de l'emporter, par le jeu des votes octroyés à chaque pays.

À ce jour, 80% des prises mondiales sont achetées par le Japon, qui a d'ores et déjà entamé une campagne internationale de lobbying pour contrer une telle mesure.

MM. Borloo et Le Maire, dont les premiers échanges mercredi matin avec les professionnels ont été houleux, expliquent que, techniquement, ils s'en remettront à l'avis scientifique de la CITES, dont le comité scientifique puis le comité permanent se réuniront en 2011 et décideront de maintenir ou non le commerce international.

Dans l'intervalle, la Commission internationale pour la Conservation des Thonidés de l'Atlantique (CICTA/ICCAT), chargée de la gestion des stocks en Atlantique Est et Méditerranée (90% du stock mondial) aura également rendu ses analyses.

Le délai de 18 mois réclamé par Paris doit permettre la publication de nouvelles études scientifiques fondant la décision et surtout de négocier à Bruxelles des dérogations pour la pêche artisanale (180 bateaux pour 10% des prises) et des subventions pour la vingtaine de thoniers industriels de Méditerranée .

La campagne 2010, pour laquelle la France dispose d'un quota de 2.200 tonnes, est donc garantie de même que celle de 2011, avec une incertitude sur la possibilité d'écouler les prises sur le marché international.

«On nous dit en substance: sauvons l'espèce, mais pas tout de suite!», a regretté François Chartier, chargé de campagne Océans à Greenpeace, en reprochant au gouvernement de «plier devant les pêcheurs tout en voulant sauver les apparences».

Mais l'urgence, pour M. Le Maire, c'est de mettre à profit ce délai pour sauver la pêche côtière artisanale, «qui ne menace pas la ressource mais représente la majorité des emplois et des activités», a-t-il dit.

Il lui faut pour cela obtenir une modification du règlement européen qui interdit le commerce des espèces protégées sur le marché communautaire, notamment la création d'une zone économique exclusive (ZEE) française en Méditerranée.

Le ministre de l'Agriculture réclame également des financements européens au profit des thoniers senneurs (filet tournant) qui seraient empêchés de pêcher. Ceux-ci, qui s'étaient développés dans les années 80-90 à grands coups de subventions communautaires, font déjà l'objet d'un plan de sortie de flotte qui les conduira à réduire cette année de 28 à 22 leur nombre de bateaux.