Le sort d'une espèce en danger à La Prairie, sur la Rive-Sud de Montréal, se transporte en Cour fédérale. Deux organismes environnementaux veulent obliger Ottawa à adopter un décret d'urgence afin de protéger la rainette faux-grillon, une minuscule grenouille menacée par la construction d'un lotissement.

Par ailleurs, même si le projet du Domaine de la nature a obtenu toutes les autorisations du ministère québécois de l'Environnement, des biologistes consultés par La Presse contestent la technique retenue pour assurer la survie de l'espèce. Surtout, disent-ils, que toute l'opération est compromise par la présence de plusieurs drains installés dans la zone de conservation prévue par la Ville de La Prairie. Explications en quatre temps.

Décret d'urgence

Nature Québec et le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) ont déposé cette semaine en Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire afin d'obliger la ministre de l'Environnement, Leona Aglukkaq, à recommander un décret d'urgence pour protéger la rainette faux-grillon, une espèce menacée depuis 2010.

En mars dernier, Ottawa avait refusé d'adopter un décret d'urgence à la demande de Nature Québec. Alexandre Desjardins, avocat au CQDE, explique que la décision de la ministre allait alors à l'encontre de la Loi sur les espèces menacées.

«Nous jugeons aussi qu'il y avait une absence totale d'arguments scientifiques dans cette réponse», précise Christian Simard, directeur général de Nature Québec.

Une méthode controversée

Les autorisations délivrées par le ministère québécois de l'Environnement prévoient un «développement par phasage» afin de permettre le «déplacement annuel et naturel de la rainette faux-grillon», vers la zone de conservation prévue par la Ville.

Le Ministère admet ne pas avoir été en mesure de «valider l'effet réel de cette technique». La rainette se déplace peu, signale le biologiste et spécialiste des amphibiens, Jean-François Desroches. Selon lui, devant la machinerie qui remblaie l'habitat, les rainettes ne fuiront pas et seront tout simplement ensevelies.

«On préfère utiliser des mesures de compensation douteuses sans bases scientifiques ayant simplement pour but de laisser croire aux gens que l'on se soucie de la protection de la rainette», affirme la biologiste Isabelle Picard.

Des drains illégaux?

La Presse a pu constater la présence d'au moins 14 drains installés dans la zone de conservation prévue par la Ville.

Selon la biologiste Isabelle Picard, ces drains empêchent l'eau de s'accumuler là où la rainette pourrait se reproduire au printemps. Le directeur général de La Prairie, Jean Bergeron, explique que plusieurs de ces drains sont là depuis de nombreuses années. En raison de la présence d'un sentier qui sert aussi de piste de ski de fond, ces drains servent à «maintenir l'écoulement naturel de l'eau», dit-il. Il admet qu'ils ont été installés sans obtenir l'autorisation du MDDEFP. M. Bergeron signale cependant que la Ville est prête à revoir l'aménagement du sentier et la présence des drains pour assurer la survie de la rainette.

Quand la rainette chante

Au cours des derniers jours, des biologistes se sont rendus à La Prairie pour recenser les rainettes. La technique consiste à localiser les grenouilles en les écoutant chanter et à positionner celles-ci sur une carte grâce à un appareil GPS.

Selon Isabelle Picard, la rainette est très présente cette année dans la zone qui sera touchée par les travaux. «Si par miracle, elle réussit à se rendre dans la zone de conservation, elle y trouvera d'abord un boisé asséché, signale Tommy Montpetit, chargé de projet au Centre d'information en environnement de Longueuil.

Au moment de la visite de La Presse, des fonctionnaires d'Environnement Canada et du MDDEFP étaient également sur place. L'un d'eux a admis avoir constaté que les rainettes chantaient beaucoup plus en dehors de la zone de conservation.