L'espoir ne viendra pas de l'Ouest pour la rainette faux-grillon en Montérégie. Ottawa vient d'annoncer qu'il n'interviendra pas à La Prairie, sur la Rive-Sud de Montréal, pour assurer la survie de cette espèce menacée.

En 2013, Nature Québec a demandé à deux reprises au ministre fédéral de l'Environnement de faire adopter un décret d'urgence afin de protéger la rainette faux-grillon en vertu de l'article 80 de la Loi sur les espèces en péril. La minuscule grenouille est menacée par un projet domiciliaire à La Prairie. Il aura fallu presque un an à Environnement Canada pour répondre à cette demande.

Dans sa réponse à Nature Québec, le sous-ministre adjoint d'Environnement Canada, Mike Beale, reconnaît que « la menace actuellement subie par l'espèce est liée à la destruction de l'habitat (...) en raison de l'expansion suburbaine et de la modification des pratiques agricoles ».  Il ajoute que « même si le déclin de la rainette faux-grillon de l'Ouest dans tout le sud du Québec et de l'Ontario peut être qualifié de grave d'un point de vue biologique, Environnement Canada estime que la portée des travaux envisagés sur le site de La Prairie ne menace pas la possibilité de la présence de l'espèce ailleurs en Ontario et au Québec ». 

La réponse reçue le 27 mars dernier a grandement déplu à Christian Simard, directeur général de Nature Québec. « C'est une gifle au visage. Nous sommes choqués par le manque de respect d'Environnement Canada dans ce dossier, d'autant plus que le Ministère a des obligations légales à l'endroit des espèces menacées. » Au Canada, la rainette a le statut d'espèce menacée. Elle est considérée comme espèce vulnérable au Québec. Selon les experts, La Prairie abrite l'une des neuf dernières populations recensées en Montérégie.

« Après un an, on s'attendait à une réponse un peu plus élaborée que ça, affirme Philippe Blais, président du Conseil régional de l'environnement de la Montérégie (CREM). C'est comme si Ottawa essayait de nous dire que 9-1 égale 10. Ça n'a aucun bon sens. Les deux paliers de gouvernement abandonnent carrément leurs responsabilités et ne font pas appliquer leurs propres lois. » 

Selon le président du CREM, la décision d'Ottawa est facilement contestable devant les tribunaux. « Mais pour aller dans l'arène juridique, ça prend des sous et les gouvernements le savent que les groupes écologistes n'ont pas les moyens de faire ça. Si c'était le cas, on gagnerait souvent en cour. Là, c'est comme s'ils faisaient un pied de nez aux environnementalistes. »

En février dernier, un fonctionnaire qui travaille dans la région de la Capitale nationale a d'ailleurs affirmé à La Presse que « dans ce dossier, le fédéral et le provincial travaillent main dans la main pour ne rien faire ».

Les experts s'inquiètent

L'argumentaire de Nature Québec repose en bonne partie sur les conclusions de l'équipe de rétablissement de la rainette faux-grillon. Le groupe formé d'experts gouvernementaux et représentants écologistes a sonné l'alarme plus d'une fois ces dernières années. Son dernier avis a été remis au ministère québécois de l'Environnement le 5 février dernier. L'équipe rappelait que les chances de survie de l'espèce sont faibles si des certificats d'autorisation étaient délivrés pour permettre le développement à La Prairie.

Christian Simard se dit aussi surpris de voir le ministère de l'Environnement affirmer une chose et son contraire dans la même réponse. « On dirait que le Ministère méprise sa propre loi [sur les espèces menacées]. » Nature Québec envisage-t-il des recours légaux contre Ottawa? Son DG refuse d'annoncer quoi que ce soit pour l'instant. « Mais nous n'excluons aucun recours face à cette réponse totalement inacceptable. »

Selon Tommy Montpetit, chargé de projet au Centre d'information en environnement de Longueuil, le dossier de La Prairie est symptomatique de l'importance accordée à la protection des milieux naturels aux gouvernements provincial et fédéral. « La survie de la rainette est importante parce qu'elle est liée à la protection des milieux humides et des boisés d'intérêts dans le sud du Québec. » Une récente étude commandée par le ministère de l'Environnement confirmait cependant que Québec n'arrive pas à stopper le déclin des milieux humides dans la province. 

En février dernier, le ministère québécois de l'Environnement a donné le feu vert au projet du Domaine de la nature à La Prairie. Avec des promoteurs privés, la Ville entend réaliser un projet résidentiel évalué à 300 millions de dollars. Un parc de conservation sera créé pour protéger la rainette faux-grillon, mais plusieurs experts consultés par La Presse doutent de son efficacité.