La commission baleinière internationale (CBI), minée par des soupçons de corruption et paralysée par l'opposition entre pays protecteurs des cétacés et pays chasseurs, va devoir aborder la question de sa transparence à sa 63e réunion plénière qui débute lundi à Jersey.

La Grande-Bretagne, où se trouve le siège de la vénérable institution créée en 1946 pour ménager l'avenir de la chasse à la baleine, arrive à la réunion avec des propositions pour la rendre plus «efficace» en l'alignant sur les pratiques des autres instances internationales.

La dernière réunion de la CBI, en juin 2010 à Agadir (Maroc), s'était soldée par l'échec des discussions pour assouplir le moratoire sur la chasse à la baleine, en vigueur depuis 1986, avec deux blocs campés sur leurs positions.

Elle avait surtout été marquée par les accusations de corruption visant le Japon, soupçonné de payer pour sécuriser le vote de ses alliés à la Commission, dont les 89 pays membres se répartissent assez équitablement dans chaque camp.

Le Sunday Times avait rapporté que des représentants africains et des Caraïbes avaient admis avoir voté en faveur de la chasse à la baleine en échange de promesses d'aides au développement, d'argent ou de cadeaux.

Malgré les démentis japonais, plusieurs acteurs en avaient tiré la conclusion de la nécessité de réformer le fonctionnement de la CBI à l'issue d'une année de «pause», décrétée après la réunion au Maroc.

«La commission baleinière internationale est l'instance clé responsable de la chasse et de la conservation des baleines. C'est vital qu'elle restaure sa crédibilité», plaide Patrick Ramage, directeur du programme international sur les baleines au Fonds international pour la protection des animaux (Ifaw).

La proposition déposée par le Royaume Uni vise à ce que chaque pays membre règle désormais sa cotisation par un virement depuis un compte bancaire national pour mettre fin aux paiements par chèque ou en liquide.

Une façon de ne plus permettre à un pays chasseur de payer discrètement la cotisation de ses alliés, décryptent plusieurs observateurs.

La Grande-Bretagne propose aussi d'accorder plus de place aux ONG et d'accélérer la diffusion des décisions et des comptes-rendus de réunions, souvent publiés de longs mois après la fin des discussions.

Même modestes, ces propositions britanniques n'ont pas obtenu un soutien global européen, le Danemark, en raison de ses liens avec le Groenland où la baleine est chassée, s'étant opposé à une position commune.

La grande inconnue de cette réunion tient à l'attitude du Japon, cible préférée des antichasses en raison de sa chasse à la baleine dite «scientifique», quatre mois après le séisme et le tsunami.

«Ils vont sans doute adopter un profil bas, du fait qu'ils ont eu moins de temps pour se préparer et qu'une partie de leur flotte a été endommagée», estime Alexandre de Lichtervelde, commissaire belge auprès de la CBI.

«On peut se demander si le Japon va bénéficier d'un mouvement de sympathie plus général», pense Rémi Parmentier, du groupe de consultants Varda.

«Le Japon a jusqu'à présent maintenu une minorité de blocage en subventionnant des pays pour qu'ils l'appuient. Mais maintenant que le pays est en reconstruction, il sera aussi intéressant de voir si cela va continuer et quels pays vont être présents», ajoute ce spécialiste des négociations.

Une trêve n'est toutefois nullement dans les intentions de la plus virulente des organisations antichasse, Sea Shepherd. L'ONG du Canadien Paul Watson, qui a pris l'habitude de pourchasser les baleiniers japonais dans l'Antarctique, a déjà annoncé son intention d'y retourner l'hiver prochain si la chasse reprend.

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COMBIEN DE BALEINES?

- Appartenant à l'ordre des cétacés, les baleines ont une quinzaine d'espèces, dont des «baleines à fanons» (baleine bleue, rorqual, baleine grise) ainsi que des cachalots, qui sont des «baleines à dents».

- Depuis la mise en place d'un moratoire sur la chasse, les populations sont globalement en augmentation, mais un certain nombre d'espèces restent très menacées, comme la baleine grise du Pacifique nord-ouest (121 individus estimés), la baleine franche de l'Atlantique nord-ouest (300) et la baleine bleue, espèce emblématique en tant que plus grand animal existant, dont la population mondiale se situerait autour des 5.000 individus.

QUI CHASSE ENCORE?

- Chasse commerciale: par la Norvège (536 baleines prises en 2009) et l'Islande (38), qui ont rejeté le moratoire de la CBI.

- Chasse scientifique: par le Japon (1.004 baleines chassées en 2009, majoritairement en Antarctique), qui fixe ses quotas unilatéralement. De l'avis des experts, il produit peu de recherches et concentre ses travaux sur les utilisations industrielles de la baleine (pharmaceutiques notamment).

- Chasse aborigène: quotas fixés par la CBI. Réservée aux communautés qui peuvent prouver qu'il en va de leur subsistance et de leurs traditions: Alaska (États-Unis), Groenland (Danemark), Tchoukotka (Extrême-Orient sibérien) et Saint-Vincent-et-les-Grenadines (petites Antilles).

- Autres: le Canada accorde trois baleines/an aux Inuit, et l'Indonésie  chasse de 2 à 50 cachalots, sans passer par la CBI.

LES PRINCIPALES ESPECES CHASSEES:

- Les baleines de Minke ou petits rorquals (environ 7 mètres): Islande, Norvège, Japon (Antarctique et Nord Pacifique), Groenland, Inuit d'Alaska...

- Rorquals communs, la 2e plus grande espèce vivante (environ 20 m): Japon

- Cachalots et Rorquals boréals : Japon

LA COMMISSION BALEINIÈRE INTERNATIONALE (CBI)

Créée en 1946, elle réunit 89 pays sur une base volontaire, répartis assez équitablement entre prochasse (Japon, Islande, Norvège qui sont les pays chasseurs, la majorité de l'Asie, des Caraïbes, de l'Afrique et la Russie) et antichasse (Union européenne sauf Danemark), la plupart des pays anglophones dont Afrique du Sud et Kenya, l'Inde et l'Amérique du Sud. Elle est chargée de veiller au «développement ordonné» de la chasse et à la conservation des baleines.

Sources: CBI et Jean-Benoît Charrassin, chercheur au Muséum national d'histoire naturelle et membre du comité scientifique de la CBI