Sans les mines, Sept-Îles serait encore un village de pêcheurs. Mais jusqu'ici, ces trous béants et polluants qui ont fait vivre la ville de 30 000 habitants et son port étaient à des centaines de kilomètres de là. Tout a changé depuis cinq ans. D'abord, il a été question d'extraire de l'uranium à une quinzaine de kilomètres. Des médecins ont menacé de quitter la ville. Le projet a fait l'unanimité contre lui. En revanche, le projet Mine Arnaud, qui veut s'installer à l'intérieur du périmètre urbain, divise la population. Le Conseil des ministres doit trancher bientôt.

Est-ce que l'économie de Sept-Îles peut se passer du projet de Mine Arnaud, jugé «inacceptable» par le BAPE?

Le débat qui déchire Sept-Îles depuis quatre ans a atteint son paroxysme la semaine dernière, quand un autre site, la mine de fer du lac Bloom, a annoncé sa fermeture et la disparition de 400 emplois.

Pour Claude Harvey, la réponse est claire: «Ça ne fait pas de bon sens de laisser passer un projet comme ça», dit-il.

Attablé chez André St-Pierre, avec d'autres membres d'un comité de citoyens favorables au projet, cet ancien vendeur d'automobiles dit qu'il ne veut pas revivre la crise économique qui a dévasté Sept-Îles il y a 30 ans.«J'ai trois enfants et six petits-enfants qui sont ici et j'ai l'intention de mourir ici. Mais je ne veux pas vieillir dans une ville qui voit ses jeunes quitter.»

De la salle à manger, on aura une vue sur la butte artificielle - le «mur-écran» de 50 mètres de haut - qui bordera le sud de la mine, à environ 300 mètres.

Les impacts de la mine - poussière, bruit, dynamitage - n'inquiètent pas M. St-Pierre.

«Selon ce qu'ils ont présenté, il y a des manières d'atténuer la poussière et il y a le mur-écran pour le bruit», dit-il.

Même si Mine Arnaud lui offre de lui racheter sa maison avec une prime de 15%, il ne compte pas déménager.

Déficit de confiance

Autour d'une autre table de cuisine, dans un quartier central de Sept-Îles, le discours est complètement différent.

Louise Gagnon, agronome de formation, enseigne au secondaire, à des adultes.

Elle est l'âme dirigeante du Regroupement pour la sauvegarde de la Grande baie de Sept-Îles. Ce plan d'eau est au coeur de la région: d'un côté, la ville, et de l'autre, l'aluminerie Alouette. Et dans le creux de la baie, la future mine Arnaud.

Mme Gagnon faisait partie des 400 personnes qui ont participé à la séance inaugurale de l'enquête du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur le projet Mine Arnaud, l'an dernier.

Au terme de son enquête, le BAPE a conclu que le projet était «inacceptable».

«Mine Arnaud n'a pas réussi à bâtir une relation de confiance avec nous», dit-elle.

À ses côtés, Karine Bond. Sa maison se trouve à quelques minutes de marche de la future mine, à travers le lot forestier dont elle est propriétaire avec son conjoint.

Devant son bungalow, qu'elle habite avec sa fille de 5 ans et son garçon de 8 mois, un écriteau: «Notre terrain de jeux, c'est la forêt.»

Elle aussi pourra vendre sa maison avec une prime de 15% sur la valeur marchande, mais elle doute de pouvoir se reloger à son goût. «Les grands terrains sont rares et les valeurs seront dépréciées à cause de la proximité de la mine», dit-elle.

Louise Gagnon et Karine Bond font partie des 800 personnes qui ont marché pour réclamer un référendum sur Mine Arnaud, le 7 novembre dernier.

Un maire aux abois

Le maire, Réjean Porlier, était aussi du nombre. Mais il fait face à la fronde des conseillers municipaux, tous favorables au projet.

«On me dit qu'il faut que je rentre dans le moule, dit-il en entrevue avec La Presse. Mais j'ai été élu par la population en promettant un référendum.»

Il s'appuie sur le rapport du BAPE et les avis d'autres autorités dans la région pour demander des réponses sur des enjeux importants: «On a le droit d'être rassurés sur la pollution de l'air, la qualité de l'eau potable.»

Des organismes locaux ont affirmé que les poussières en provenance de la mine pourraient compromettre la qualité du lac des Rapides, où Sept-Îles prend son eau potable.

M. Porlier ajoute que la stabilité des bassins de résidus miniers est cruciale: un déversement pourrait couper la route 138, la seule voie d'accès terrestre pour la région, ainsi que la conduite d'eau municipale qui approvisionne les cuves de l'aluminerie Alouette, le plus gros employeur de la région.

Les citoyens reprochent aussi à Mine Arnaud de ne pas avoir étudié l'impact de son projet sur l'écologie de la baie de Sept-Îles.

Les eaux de rejet de la mine, une fois traitées, seront rejetées dans un ruisseau qui se jette dans la baie, un kilomètre plus loin.

La baie de Sept-Îles est une halte importante pour les oiseaux migrateurs et un lieu de reproduction et de vie pour les poissons, notamment les jeunes morues, une espèce qui peine à se rétablir.

Le milieu d'affaires est pour

En dépit des inquiétudes et du rapport du BAPE, le milieu économique est presque unanimement derrière le projet.

C'est d'ailleurs la Chambre de commerce qui a payé pour les affiches «Go Arnaud» qu'on voit placardées un peu partout dans la ville.

Des affiches au design léché, qui répondent aux pancartes artisanales dessinées par les opposants depuis des années.

L'apparition des pancartes au début du mois de novembre a été accompagnée d'une campagne publicitaire intense pendant laquelle Investissement Québec a fait réaliser un sondage.

Résultat: 65% des répondants sont favorables au projet et 32% sont défavorables.

Mais même si le débat est tranché - des accusations d'intimidation et de désinformation fusent de toutes parts -, les opinions sont nuancées.

Le sondage indique que 43% des répondants veulent en savoir plus sur le projet, surtout sur ses impacts négatifs.

Un citoyen qui exhibait une affiche «Go Arnaud», Christian Gagnon, se dit en faveur, mais «pas à n'importe quel prix». «S'ils suivent la réglementation du BAPE, ça va», dit-il.

Mais le maire de Sept-Îles, Réjean Porlier, n'est pas convaincu que le projet sera assorti de garanties suffisantes. «On a vu souvent des projets rejetés par le BAPE, mais approuvés par le gouvernement», dit-il.

La question se pose d'autant plus que l'État est actuellement le principal actionnaire derrière le projet, à travers Investissement Québec.

«Je me bats contre mon propre gouvernement, se désole Louise Gagnon, qui s'oppose au projet. Je me bats contre Investissement Québec, contre les conseillers municipaux, contre la Société de développement économique.»

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Des centaines de pancartes appuyant le projet sont apparues cet automne à Sept-Îles.