Le président des États-Unis, Barack Obama, n'a pas jugé opportun de téléphoner au premier ministre Stephen Harper plus tôt cette semaine afin de solliciter une contribution militaire plus importante du Canada dans la lutte contre le groupe armé État islamique (EI) en Irak.

Son administration a plutôt formulé cette demande en faisant parvenir une lettre aux autorités canadiennes. M. Harper a divulgué la démarche de l'administration Obama mercredi alors qu'il répondait aux questions du rédacteur en chef du Wall Street Journal à New York.

En temps de conflit, le président américain prend normalement le temps de discuter de certaines options de vive voix avec ses plus proches alliés afin d'assurer le succès d'une opération.

Lorsque M. Harper s'est présenté à la réunion extraordinaire du Conseil de sécurité de l'ONU le même jour pour discuter de la réponse de la communauté internationale à l'EI, M. Obama, qui présidait la réunion, a cédé son siège au secrétaire d'État John Kerry et a quitté la salle, quelques secondes à peine avant que le premier ministre prenne la parole.

M. Obama avait pourtant écouté attentivement lorsque le premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, avait exprimé la position de son pays. Il avait eu la même courtoisie envers le premier ministre de l'Australie, Tony Abbott, quand il avait prononcé son discours.

Au début du mois, lors du dernier sommet de l'OTAN à Newport, au Royaume-Uni, M. Obama a rassemblé certains leaders autour d'une même table afin d'exprimer la solidarité des pays de l'Ouest avec l'Ukraine. Il a invité les leaders de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne et de l'Italie à faire le point sur la situation dans ce pays en compagnie du président de l'Ukraine Petro Porochenko. M. Harper, qui est l'un des plus grands pourfendeurs des velléités expansionnistes de Vladimir Poutine en Ukraine, n'avait pas été convié à la rencontre.

Les semaines passent et les signes se multiplient. Les relations entre le chef de la Maison-Blanche et le premier ministre sont loin d'être au beau fixe. Les pressions incessantes qu'exerce le gouvernement Harper sur Washington pour faire approuver le projet de construction du pipeline Keystone XL expliquent le froid qui s'est installé entre les deux hommes.

L'administration Obama tarde à approuver ce projet qui permettrait d'acheminer le pétrole issu des sables bitumineux de l'Alberta jusqu'aux raffineries de l'État du Texas. Le président a fait savoir qu'il autorisera ce projet à condition qu'il ne contribue pas à augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Il a aussi mis en doute les retombées économiques potentielles d'un tel projet.

Cette lenteur à donner le feu vert au projet irrite au plus haut point les conservateurs à Ottawa. M. Harper a déjà exprimé sa frustration publiquement en affirmant que l'approbation de Keystone était un «no brainer» (allait de soi). Il a aussi dit qu'il n'accepterait pas un non comme réponse au cours d'un précédent voyage à New York.

Projets bloqués

«Le gouvernement Harper fait une véritable obsession de Keystone. Les relations canado-américaines sont vues essentiellement à travers ce prisme. Et cela ne sert pas nos intérêts, car il y a d'autres dossiers tout aussi importants qui sont bloqués», affirme une source du monde des affaires qui s'inquiète du peu d'influence du Canada à Washington.

À titre d'exemple, la construction du nouveau pont reliant Windsor à Detroit, pourtant crucial pour les échanges commerciaux entre les deux pays, avance à pas de tortue dans les dédales administratifs au Michigan, même si le Canada a offert de payer l'ensemble du projet, incluant la construction du poste douanier du côté américain.

M. Harper n'a probablement pas augmenté son capital de sympathie à la Maison-Blanche en décidant de ne pas assister mardi au Sommet des Nations Unies sur le climat, qui a réuni tous les leaders de la planète à l'exception de M. Harper, du président de la Chine et du président de l'Inde.

Or, le président américain souhaite faire de la lutte contre les changements climatiques sa priorité d'ici à la fin de son second mandat.

«La relation Canada - État-Unis est quelque chose que le premier ministre doit entretenir au même titre qu'un jardinier doit s'occuper des fleurs les plus délicates d'un jardin. C'est aussi important que cela», affirmait récemment l'ancien premier ministre Brian Mulroney au réseau CTV.

Durant son règne, M. Mulroney avait soigneusement cultivé ses relations avec les locataires de la Maison-Blanche pour conclure un traité sur les pluies acides et un accord de libre-échange.

Il appert que les fleurs cultivées jusqu'ici par M. Harper dans le jardin des relations canado-américaines ont été gravement endommagées par un poison nommé «Keystone».